Gecina, qui fait régulièrement tourner son portefeuille, passe à la vitesse supérieure en 2023 avec déjà près d’1 Md€ de cessions bouclées ou engagées à date. Pas plus tard qu’hier, la foncière cotée emmenée par Beñat Ortega depuis plus d’un an, a réitéré la vente du 101 Champs-Élysées – l’un de ses bijoux de famille –, réalisant par la même occasion sa plus grosse sortie depuis au moins sept ans. Mais ces derniers mois, la SIIC s’est également délestée d’autres immeubles de bureaux en plein QCA parisien, son terrain de jeu favori, comme le 129 Malesherbes (lire ci-dessous), le 142 Haussmann ou encore le 43 Friedland. Gecina a aussi vendu un immeuble moins stratégique géographiquement parlant, sis à Cergy, tout en arbitrant plus de 200 lots résidentiels à Courbevoie. « Ces transactions traduisent la volonté stratégique de Gecina de poursuivre l’optimisation de l’allocation de son capital », explique Beñat Ortega. Un point de vue qui ne fait pas l’unanimité sur le marché.
Le 101 Champs-Élysées, la pépite de Gecina qui se valorise environ 750 M€
Gecina se sépare donc du 101 Champs-Élysées, son trophy asset extrêmement bien situé au croisement des Champs-Élysées et de l’avenue George V. Développant 9 400 mètres carrés environ – dont 4 000 mètres carrés de bureaux, 3 885 mètres carrés de commerces et 1 200 mètres carrés comprenant une boîte de nuit et des locaux d’archives–, l’ensemble Art Déco restructuré en 2006 profite d’une excellente visibilité. La foncière cotée n’en dit pas beaucoup plus sur cette sortie, qui s’est négociée en direct depuis septembre dernier, sans l’intervention d’un broker. Toutefois, de sources concordantes, l’acquéreur n’est autre que LVMH, le numéro 1 du luxe qui place ainsi un nouveau pion dans son vaste Monopoly parisien. Pour s’offrir cet opus mixte, l’empire de Bernard Arnault débourse selon nos informations peu ou prou 750 M€ full equity – un volume très majoritairement drivé par la partie retail.
Un yield à 2 %, l’exception de 2023
Construit il y a une centaine d’années par l’architecte Charles-Henri Besnard, le 101 Champs-Élysées a été commandé par Georges Vuitton, le fils du fondateur éponyme de la marque de maroquinerie de luxe. À immeuble singulier, chiffres d’exceptions : selon nos informations, l’ensemble génère un loyer annuel de 16,5 M€, pour un rendement très compressé de… 2 % ! Un taux déjà peu courant réservé aux transactions "haute-couture", qui se raréfie encore plus face aux actuelles conditions de marché. « C’est une transaction qui ne reflète pas du tout le marché, glisse un conseil de la place. C’est très spécifique. » L’opération du 101 Champs-Élysées présente ainsi le plus faible yield de l’année, à l’heure où certaines transactions voisines peinent à voir le jour et ne sortiront quoiqu’il en soit pas à moins de 3,5 %...
Louis Vuitton part au 103, Dior arrive au 101
Le 101 Champs-Élysées est surtout connu pour abriter le flagship mondial de Louis Vuitton – dont le drapeau flotte fièrement au sommet de l’actif. Les bureaux sont également occupés par la griffe de LVMH, alors qu’un lieu bien connu de la nuit parisienne occupe des surfaces mineures côté rue de Bassano : le club Raspoutine. Le bail entre le groupe de luxe et Gecina avait d’ailleurs été renouvelé pour 18 ans en 2021, avant d’être suspendu un temps face à un recours de Lina Renault, une retraitée qui en revendiquait la propriété suite à un héritage du XIXe siècle. Selon nos sources, LVMH a désormais d’autres ambitions immobilières : l’idée est d’installer Louis Vuitton au 103 Champs-Élysées, dans l’ancien fief de HSBC détenu par le Qatar, qui devait initialement accueillir Dior (lire ci-dessous). La maison de haute-couture devrait pour sa part récupérer le 101 Champs-Élysées, après une rénovation complète de la coque commerciale – un projet déjà bien avancé côté LVMH.
D’autres arbitrages secondaires
En parallèle, Gecina a également signé cinq autres cessions depuis le début de l’année, à moins de 3 % de rendement, qui ne sont pas toutes finalisées mais dont la réitération doit intervenir avant le 30 juin prochain. Dans le détail, la foncière cotée se déleste ainsi du 129 Malesherbes contre 28 M€ – comme dévoilé par CFNEWS IMMO en avril dernier (lire ci-dessous) –, ainsi que du 142 Haussmann, un opus tertiaire de 2 095 mètres carrés qui se valorise 53,8 M€ AEM et un yield de 3 %. Elle va également céder le 43 Friedland (une promesse est signée), dont les 1 852 mètres carrés majoritairement de bureaux sont également estimés à quelque 48 M€ – ces trois immeubles sont repris par Monceau Assurances. La SIIC en profite aussi pour sortir des lignes moins stratégiques, comme l’immeuble Europa à Cergy pour 20-30 M€, qui s’intègre dans un campus bien plus vaste de 75 000 mètres carrés dont elle conserve la propriété à ce stade. Enfin, l’immeuble résidentiel Abreuvoir à Courbevoie est à son tour arbitré (une promesse est signée), pour un peu plus de 82,5 M€ auprès de BNP Paribas Promotion, qui compte le commercialiser à la découpe selon nos informations.
Vendre aujourd’hui pour réinvestir demain
L’annonce de la cession du 101 Champs-Élysées par Gecina a beaucoup fait parler le marché ces dernières heures. Beñat Ortega la justifie pour renforcer « la solidité de sa structure financière et […] sécuriser le financement d’un pipeline localisé essentiellement à Paris et à Neuilly ». C’est que suite à son milliard de cessions, Gecina réduit sa dette nette qui s’affichait à 7,2 Md€ fin 2022, tout en abaissant également son taux de LTV (33,7 % DI). La foncière s’assure aussi le cash nécessaire pour reprendre ses investissements, et créer de la valeur autre part, notamment dans ses projets de développement qui yield à 6-10 %. « La cession du 101 Champs-Élysées suit une certaine logique, appuie un broker parisien. C’est la vie d’une foncière d’arbitrer quand un maximum de valeur a été créé. » Pour mémoire, Gecina détient toujours le 44 Champs-Élysées sur la célèbre avenue, ou encore le 10-12 Vendôme. Occupé par Chaumet (LVMH), cet actif d’exception n’a – pour sa part – pas vocation à être arbitré. La SIIC détient un patrimoine de 20 Md€, principalement parisien.
Des cessions qui interrogent la place parisienne
Mais le choix de Gecina de se séparer de ce qui était considéré comme "la Joconde" de son patrimoine ne fait pas l’unanimité. Des petits actionnaires qui ne comprennent pas la vente des « bijoux de famille » à certains fins connaisseurs de la SIIC qui dénoncent « une erreur et une réponse scolaire à la demande du marché de vendre les actifs les mieux placés », voir le 101 Champs-Élysées quitter le giron de la foncière parisienne anime les débats. « Le 101 a été sacralisé ces dernières années, tempère un investisseur. Il y avait un intérêt à discuter avec un nom comme LVMH, bien connu du monde immobilier dans le Triangle d’Or et qui intervient cash ». L’avenir départagera les différents points de vue.