La jurisprudence Lupa de 2016 avait entravé la possibilité de céder des sociétés non soumises à l'IS (SCI, SNC) détenant des biens immobiliers porteurs de plus-values latentes sans que celles-ci n’entrainent l’application d’une décote.
De nombreux observateurs salueront la solution retenue par le Conseil d’État dans son arrêt FRA (CE 24 avr. 2019, n° 412503, Sté FRA SCI) autorisant les futurs cédants de parts de sociétés translucides (non soumises à l’IS) de renouer avec la pratique qui consistait à ne pas appliquer de décote pour fiscalité latente sur leurs actifs immobiliers dès lors que l’acquéreur pouvait les appréhender sans coût fiscal. Étaient en cause dans cette affaire les modalités de calcul de la plus-value de confusion de ces parts, celles-ci faisant historiquement l’objet d’une attention particulière dans la négociation de nombreux deals immobiliers dont elles peuvent constituer l’un des éléments déterminants – notamment parce que c’est justement de ces modalités de calcul que dépend la possibilité pour le cessionnaire de purger sans coût fiscal les plus-values latentes sur les immeubles.
On rappellera que, par l’une de ces complexités dont le droit fiscal a le secret, la translucidité d’une société entraine l’imposition des profits qu’elle réalise entre les mains de ses associés, indépendamment du fait que ces profits leur aient été répartis ou non. En l’absence de répartition, ces profits peuvent également se retrouver imposés lors de la cession des parts de la société puisqu’ils viennent majorer la plus-value qui en résulte. Soucieux de prévenir ces situations de double imposition, le Conseil d’État avait dégagé une solution d’équilibre avec son arrêt Quémener (CE 16 fév. 2000 n° 133296, SA Ets Quémener) par lequel il avait consacré le correctif éponyme permettant de calculer le prix de revient des parts cédées en majorant leur valeur historique des éventuels profits réalisés par la société et n’ayant pas fait l’objet d’une répartition.
En transposant ce mécanisme aux opérations de dissolution sans liquidation la pratique avait permis aux acquéreurs de sociétés translucides de purger sans coût fiscal les plus-values latentes sur les biens immobiliers qu’elles détenaient. L’écart de réévaluation des immeubles consécutif à la dissolution était imposé entre les mains de l’associé tout en étant compensé par la moins-value d’annulation des parts dont il venait augmenter le prix de revient. Cette indifférence pour l’éventuelle plus-value latente portée par les actifs immobiliers sous-jacents lors des share deals était devenue une pratique de marché largement admise par l’administration fiscale (RES n° 2007/54 (FE)) comme par le Conseil d’État (CE 27 juil. 2015, n° 362025 SA Matériels électriques ascenseurs).
Cette tendance a cependant connu un coup d’arrêt en 2016 lorsque l’arrêt Lupa (CE 6 juil. 2016, n° 377904, SARL Lupa Immobilière France) en a cantonné l’application aux seuls cas dans lesquels la double imposition concernait un même contribuable et non plus uniquement un même profit. De fait, lorsque l’acquéreur d’une société translucide procédait, dans la foulée, à sa dissolution sans liquidation, celui-ci ne pouvait arguer d’une double imposition à son niveau, la valeur comptable des parts acquises étant théoriquement équivalente à la valeur vénale des actifs sous-jacents – seul le profit correspondant à l’écart de réévaluation des immeubles était alors imposable entre ses mains, celui portant sur les parts ayant été économiquement réalisé par le cédant et imposé entre ses mains.
En abandonnant la subordination du correctif Quémener aux situations de double imposition effective, le Conseil d’État semble donc permettre une reprise de la pratique consistant à ne pas appliquer de décote pour fiscalité latente lors des cessions de parts de sociétés translucides. On observera toutefois que ce retour à une solution plus empreinte de sécurité juridique s’inscrit non seulement dans une série de revirements jurisprudentiels récurrents qui ne rassureront pas les investisseurs, mais également dans un contexte de durcissement des règles permettant à l’Administration de réprimer désormais des opérations inspirées par des motifs principalement (et non plus exclusivement) fiscaux.