C’est un îlot rare mais pourtant bien connu du marché qui s’apprête à changer de propriétaire. « Enfin ! », diraient certains observateurs du marché, qui voient tourner cet ensemble résidentiel de 10 700 mètres carrés depuis... une bonne dizaine d’années. Composé de quatre immeubles articulés autour d’une vaste cour centrale, l’ensemble est situé au pied de la Tour Eiffel, avec des adresses prestigieuses aux 67/69/71 quai Jacques Chirac (ex-quai Branly), 1/3 avenue de Suffren et 2/4 rue Buenos Aires. Vues sur la Dame de Fer, sur la Seine ou encore sur l’esplanade du Trocadéro, le complexe du 7e arrondissement profite d’un emplacement privilégié, même si quelques investisseurs ayant visité les lieux pointent « des sujets d’insécurité » aux abords du Champs-de-Mars. Quoiqu’il en soit, l’îlot Chirac peut se targuer d’une façade exceptionnelle typique de sa période de construction – en 1911 depuis les dessins de l’architecte Roger Bouvard –, avec des balcons aux étages nobles, des colonnes et des inserts décoratifs taillés dans la pierre.
La même famille propriétaire depuis plus de cent ans
L’îlot Chirac se compose aujourd’hui de vastes appartements – une bonne soixantaine au total, sans compter les chambres de service au dernier étage –, ce qui représente environ deux lots par étage sur chacun des quatre immeubles. Ces derniers sont quasiment tous vides, seule une poignée de logements sont encore occupés aujourd’hui, principalement via des baux loi 1989. L’ensemble immobilier est détenu depuis plus de cent ans par la même famille française – qui a acheté les terrains et commandé l’édification du site au début du XXe siècle – dont les descendants sont aujourd’hui résidents fiscaux en Suisse. Le complexe est cédé par Marie-Armande et Marie-Sophie Le Breton, les filles d’Iris Oberkampf (un temps mariée avec Hugues Le Breton). Cette dernière est elle-même la fille de Louis Oberkampf, 5e Baron du nom – décédé en 2011 –, et de Lysiane Gradis, baronne par alliance – décédée en 2018. Monsieur est, de son côté, le descendant de Christophe-Philippe Oberkampf (1738-1815), célèbre industriel français d’origine allemande, connu pour avoir fondé la manufacture royale des toiles imprimées (toile de Jouy), à qui les Parisiens doivent le nom de la station de métro et du boulevard éponyme. Pour sa part, Madame est la fille du militaire et homme d’affaires Gaston Gradis (1889-1968) – dont les aïeux historiquement basés à Bordeaux ont fait fortune dans le commerce colonial et triangulaire –, époux de la grande fortune Georgette Deutsch de La Meurthe. L'ensemble immobilier est hérité de la famille de cette dernière.
Une promesse de vente signée
Régulièrement proposés au marché depuis dix ans, les quatre immeubles situés au pied de la Tour Eiffel semblent prendre le chemin de la transaction : ils font aujourd’hui l’objet d’une promesse de vente sous conditions, dans le cadre d'une cession orchestrée par les équipes de Rothschild & Co. Selon des sources proches du dossier, c'est Eric Sitruk qui se positionne sur cet îlot, moyennant plus de 170 M€, soit plus de 16 000 €/m2 en moyenne. Bien que le principal intéressé démente cette information, il s'associe dans ce deal à Thomas Fabius, le fils de l'actuel président du Conseil constitutionnel. La valorisation proposée est, certes, largement supérieure à la moyenne parisienne, mais elle reste toutefois bien inférieure aux précédents prix évoqués lors de process échoués, qui dépassaient parfois les 300 M€, soit près de 30 000 €/m2. Mais quel avenir pour ces surfaces résidentielles vacantes ? Nouveau projet hôtelier, transformation en appartements de voyage luxueux, rénovation des lots et vente à la découpe, ou conservation en portefeuille ?
Un projet de rénovation à 5 000 €/m2
Fort de son emplacement et de ses qualités intrinsèques, plusieurs investisseurs successifs ont vite décelé le potentiel hôtelier de l’îlot Chirac – deux permis de construire ont été négociés en ce sens auparavant, mais la municipalité n'y est pas favorable. Parmi les projets imaginés au fil des ans, l'un des derniers en date se tourne vers la rénovation résidentielle haut de gamme. Selon nos informations, pas moins de 5 000 €/m2 de capex doivent être déployés dans cet ensemble immobilier pour le rénover complètement, de quoi représenter un ticket supplémentaire de plus de 50 M€. Derrière tout ceci, l'idée étant de créer des appartements de luxe qui répondent aux demandes actuelles d'une clientèle fortunée, tout en intégrant une panoplie de services dits hôteliers. Si ce projet est validé puis aboutit, des reventes à la découpe pourront être enclenchées en allant chercher du 30 000 €/m2, bien que l'exploitation sous format d'appartements-hôteliers n'est pas à exclure. Qui plus est, le toit de l'îlot Chirac se prête complètement à la création d'un rooftop – seuls quatre autres immeubles en bordure immédiate de la Dame de Fer bénéficient d'un toit-terrasse aménagé, au 1 Charles Floquet, ainsi qu'aux 8, 10 et 16 Elisée Reclus.