Offrir une liquidité dans un timing de marché où la hausse brutale des taux a sonné le repli de la valeur des actifs – momentum d'autant plus complexe que le real estate core n'est plus compétitif par rapport aux produits long terme –, c'est toute la quadrature du cercle à laquelle sont actuellement soumises les sociétés de gestion de fonds immobiliers. Une en particulier : Primonial REIM. Le gérant aux plus de 40 Md€ d'encours est aujourd'hui brocardé comme "l'enfant malade" du marché, érigé en bouc-émissaire d'une pierre-papier en crise. Primonial REIM est la SGP qui cristallise toutes les tensions et rumeurs autour de son parc immobilier, dont nul ne sait dire à date l'état, ni le niveau réel de décote, mais que tous pointent du doigt comme la carte qui ébranle le château de l'épargne immobilière. « À fin 2023, les valeurs d'expertises arrêtées font ressortir, pour le parc de Primonial REIM, une décote de -17 % sur le bureau ; -5 % sur la santé et le résidentiel ; -7 % sur le commerce ; et -2 % sur l’hôtellerie, détaille Grégory Frapet, président du directoire, lors du dernier Mipim. Les patrimoines immobiliers ne sont pas immunisés contre la hausse des taux qui s’imposent à l’ensemble de l’écosystème des propriétaires immobiliers que l’on soit un assureur, une foncière cotée, un family office ou même un particulier. » « Mais la réalité du marché est-elle bien en accord avec ces décotes ? », interroge de son côté un observateur, sceptique.
Une feuille de route établie
Lors du Mipim, entre rencontre de clients, d'investisseurs et de partenaires bancaires, Grégory Frapet affiche sa feuille de route pour 2024 : « Rétablir la liquidité des fonds ; organiser en conséquence un vaste plan de cessions sur trois ans ; se concentrer sur les indicateurs de performances opérationnelles de notre parc immobilier (taux de recouvrement des loyers et indexation ) ; mettre en place une stratégie d'asset management active pour adapter les immeubles de bureaux mis en difficulté par le retournement de marché et les attentes des utilisateurs en termes d’usages (services, flex, plug and play) ; négocier avec les partenaires bancaires ; et limiter la collecte tant que les valeurs ne se seront pas définitivement ajustées, avant de proposer une gamme de FIA innovantes, en attente avec le nouveau paradigme de marché. » Le tout, dans un environnement qui devrait voir, cet été, les taux commencer à baisser aux États-Unis. Mais après des années d'effervescence autour des volumes de capitaux injectés par Primonial REIM, en direct et en indirect dans le real estate – très souvent en co-investissement et appuyés par de la dette –, le gérant reste aujourd'hui vertement vilipendé par le marché pour sa stratégie passée et actuelle. Les infos distillées en off brocardent tour à tour ses actifs plantés, les départs au niveau de son top management et parmi ses collaborateurs, tout en mettant en doute sa capacité à finaliser les importants investissements engagés, et notamment la deuxième partie d'Icade Santé.
« Les actifs sur lesquels nous rencontrons des difficultés représentent aujourd’hui 5 à 6 % du patrimoine »
Après une année 2023 des plus compliquées dans l’immobilier d’entreprise, l’heure est ainsi au bilan chez les investisseurs et les gérants. « Le cycle 2008-2022 a été très long et porté par des taux en baisse, amorce Laurent Fléchet, président de Primonial REIM Holding. Le nouveau cycle qui va s’ouvrir – sûrement en fin d’année – sera très différent, la distribution et les revenus s’imposent comme le nerf de la guerre. » En s’arrêtant sur les chiffres, le portefeuille global de Primonial REIM a subi une correction de -9 % en moyenne l’an passé – un pourcentage logiquement plombé par le bureau (voir ci-dessus). « Notre choix stratégique a été de réduire l’allocation au bureau ces dernières années pour atteindre 34 % », rappelle Laurent Fléchet. Pour prendre un peu plus de hauteur sur son patrimoine, la société de gestion a dispatché ses différents actifs dans trois catégories : les lignes dites sans problème, qui peuvent être qualifiées de core, et qui sont conservées en patrimoine ; les lignes à améliorer dans une logique patrimoniale également ; et enfin les lignes problématiques, des actifs vides et à transformer, souvent situés dans des zones tertiaires qui ne répondent plus du tout aux demandes des locataires. « Les actifs sur lesquels nous rencontrons des difficultés représentent aujourd’hui 5 à 6 % du patrimoine, c’est irréversible sur une partie du stock, reprend Laurent Fléchet. L’appréciation que nous nous faisions de la valorisation de ces actifs s’est avérée inexacte, je l’assume. » Ces opérations échouées, pour lesquelles une partie de l’equity est désormais perdue, nécessitent l’injection de lourds capex pour revoir leur utilisation quand cela est possible. Leur cession est sinon, là encore, la seule issue possible : « Il faut savoir accepter les décotes quand elles semblent justifiées. » Selon nos informations, le gérant s'autorise une décote supplémentaire de -20 % sur les dernières valeurs d'expertises dans le cadre de ses sorties.
Alimenter les fonds de remboursement
Comment, dans le contexte actuel de marché, générer le cash nécessaire à alimenter les fonds de remboursement et le report à nouveau, permettant de reconstituer la liquidité des véhicules d'épargne immobilière ? C'est la question qui hante quasi toutes les SGP de la place depuis plusieurs mois et à cette interrogation, plusieurs solutions possibles. La première, la plus évidente donc : vendre des actifs et alimenter les fonds de remboursement pour les porteurs de parts désireux de sortir. Selon nos informations, Primonial REIM a établi un plan d'arbitrages de près de 3 Md€ en trois ans. Que de petites lignes pour le moment, le marché n'étant absolument pas ouvert aux grands immeubles de bureaux core, et encore moins aux actifs de certains secteurs en Première couronne et de quasi toute la Deuxième couronne. Primonial REIM a déjà cédé certaines petites lignes (le 34 Lucien Voilin à Puteaux pour environ 15 M€ ou l'immeuble rue du Château à Neuilly pour 7,5 M€...). D'autres cessions ont également été amorcées, comme la vente de participations dans des fonds internationaux pour un volume de plus de 200 M€. Autrement dit, Primonial REIM se veut actif à l'arbitrage, mais la demande de parts en attente de retrait est telle que d'autres outils doivent être activés.
La dernière arme
La deuxième solution possible pour les gérants d'actifs est celle du mécanisme de compensation différée. L'AMF a autorisé ce qui consiste à utiliser la collecte non investie depuis un an pour rembourser des parts en attente de retrait. Certains gérants ont déjà actionné ce levier sur certaines de leurs SCPI. Troisième solution : le gré à gré, autrement dit un institutionnel propriétaire d’un bloc de parts à céder peut contacter un autre institutionnel, qui souhaite les acheter à un prix décoté. L’acheteur se signale alors auprès des gérants, mais aucune transaction n'aurait encore été réalisée sur ce modèle là. La dernière arme, arme ultime : la suspension de la variabilité du capital des véhicules, avec un retour au capital fixe. Les porteurs de parts en attente doivent trouver une contrepartie pour sortir, mais à des prix très décotés. Tout le monde y perd. Certains gérants ont décidé de faire, pour l'instant, marche arrière sur ce sujet... Mais chez Primonial REIM, s’il n’y a ni collecte (en 2023, la collecte brute était de 540 M€ pour ses SCPI et 825 M€ pour ses unités de compte), ni cessions en nombre suffisant, la suspension de la variabilité du capital pourra être activée. Pour l'heure, elle ne l'est pas assure-t-on au sein du gérant.
Quel avenir pour les bureaux hors marché ?
Mais quelle porte de sortie pour les immeubles d'envergure, qui pèsent lourd dans l'exposition aux bureaux de la société de gestion ? Car il n'y a pas, aujourd'hui, de liquidité pour des actifs tels que Le Jour dans le 14e (valorisé >300 M€ en 2019) ; Kadence dans le 13e ; In/Out (380 M€ en 2017) et Praxagora à Boulogne ; Dueo Galeo Trieo (225 M€ en 2018) ou le Noda à Issy-les-Moulineaux ; l'Usinerie à Clichy-la-Garenne ; l’Ovalie à Saint-Ouen ; ou encore Hopen (450 M€ en 2013) à Paris La Défense. Une liste qui n'inclut pas Le Lumière (1,2 Md€ à parité avec Samsung SRA en 2019) à Paris 12, tellement imposant qu'il est compliqué aujourd'hui d'imaginer un fonds intégrer autant de tertiaire à son portefeuille en une seule opération. Les équipes de Primonial REIM planchent sur certains de ces assets, dans l'idée de les retravailler en envisageant notamment d'y intégrer de l'immobilier opéré, mais moyennant une certaine dose de capex. Des dépenses opérationnelles non financées par la collecte, que le gérant doit alimenter par des arbitrages ou par ses RCF (dont le coût est passé de 1 à 5 %...). Le défi est d'autant plus complexe pour les immeubles de bureaux de Primonial REIM classés aujourd'hui hors marché, que la transformation de leur usage est loin d'être gagnée, face à des municipalités qui tirent encore de ces actifs une source de taxes non négligeable et n'ont pas l'intention de s'engager dans des plans de création de logements ou de tout autre bâtiment requérant la création d'un minimum d'équipements publics. Qui plus est à moins de deux ans des prochaines municipales...
Eurêka, cas d'école
Impossible d'aborder la question des actifs en retournement chez Primonial REIM, sans qu'un immeuble ne s'impose immédiatement dans la conversation : Eurêka (32 000 mètres carrés au 13 Ernest Renan, à Nanterre). L'actif n'est pas le seul à être en souffrance dans les environs de la capitale, loin de là – citons notamment Smart Parc à Courbevoie de EQT, ou encore le Spallis à Saint-Denis de BNP Paribas REIM vendu à moins de 1 000 €/m2. Mais c'est Eurêka que le marché a décidé d'ériger en symbole du distressed. En mars 2023 déjà, dans les allées et les cocktails du Mipim, l'immeuble de Nanterre était systématiquement cité en cas d'école du retournement à l'œuvre sur le marché. « Rendez-vous compte, il est proposé au marché à 50 M€ alors qu'il a été acquis environ 190 M€ en 2015 et financé par pbb ! », s'étonnait alors un broker. Un an après, à quelques jours de l'ouverture de l'édition 2024 du Mipim, le marché assurait qu'il avait été cédé pour 1 € symbolique à Scaprim Asset Management – filiale de TwentyTwo IM. Information démentie par Primonial REIM, qui assure être en discussion avec un autre repreneur. Rappelons que cet asset a été acquis il y a près de dix ans par le gérant pour le compte d'un club-deal d'institutionnels (35,53 % pour SCPI Primopierre, 31,23 % pour Suravenir, 20 % pour l'OPCI Vivaldi géré par Amundi, et 13,29 % pour MAIF). L'actif était alors occupé par plusieurs locataires, dont Manpower France en locomotive, Carlson Wagon Lit ou encore les laboratoires Grunenthal. Manpower France représentait même 2,5 % du revenu locatif annuel de la SCPI. Mais avec l'annonce du départ de ce dernier pour la tour Landscape, au moment où le marché immobilier entre dans une crise « longue et profonde » pour paraphraser Alain Taravella, président-fondateur d'Altarea, Eurêka sombre dans une nuit noire. D'après nos sources, l'immeuble – et les plus de 50 M€ de dettes apportées par pbb qui lui sont rattachées – reste l'objet d'un processus de cession auprès d'un spécialiste du distressed.
Appeler des institutionnels dans Icade Santé
Autre sujet – et non des moindres – qui occupe les équipes de Primonial REIM : Icade Santé. Il y a un an, au printemps dernier, le gérant se lançait dans l’acquisition de la filiale dédiée d'Icade – initiant ainsi la création d’un mastodonte européen de l’immobilier healthcare, puisque les deux structures étaient déjà les plus grands investisseurs du secteur. Pour mémoire, cette acquisition a été construite en deux temps, avec une première étape bouclée avant l’été 2023, qui consistait en la reprise de 64 % de la participation de 58,3 % jusqu’alors détenue par Icade, soit environ 37,3 % du capital total d’Icade Santé, pour 1,4 Md€. « C’est une très belle opération, qui offre un rendement de 6/7 % sur du core, détaille Laurent Fléchet. Il s’agit d’un très beau patrimoine. » La seconde étape, prévue entre mi-2023 et fin 2025, prévoit de récupérer le solde de la participation d’Icade dans Icade Santé – renommé Præmia Healthcare –, mais la capacité de Primonial à finaliser l’opération est mise en doute par le marché. Les accords signés stipulent que « l’acquisition du solde des titres […] interviendra d’ici fin 2025, sur la base de la collecte des fonds gérés par Primonial REIM France et/ou de l’entrée de nouveaux investisseurs institutionnels identifiés par la société de gestion ». La collecte brute étant nettement ralentie, et la collecte nette étant encore plus impactée avec le remboursement des parts en retrait sur différents véhicules, la suite du deal ne peut logiquement se réaliser qu'avec des partenaires tiers. « Nous sommes en discussion avec plusieurs investisseurs potentiels, qui pourraient entrer dès cet été, reprend Laurent Fléchet. Il y a aussi la possibilité qu’Icade reste au capital. »
Stéphanie Lacroix pose sa démission
Les challenges à relever sont d'une telle complexité qu'ils ont généré du mouvement au sein des équipes de Primonial REIM. Selon nos informations, plusieurs figures historiques ont quitté ou sont en passe de quitter la société de gestion – même si aucune communication officielle n'est avancée à ce stade. D'après nos sources, Stéphanie Lacroix , directrice générale de Primonial REIM France, a remis sa démission au top management de la SGP la semaine suivant le Mipim 2024, elle qui – pour mémoire – a rejoint l’aventure Primonial en 2007 pour coiffer la casquette de directrice grands comptes et participer à la création de Primonial REIM, après avoir occupé un poste similaire au sein de La Française. Promue directrice générale et membre du directoire de ladite structure quatre ans plus tard, « son départ était devenu une évidence étant donné qu’elle incarne également de mauvais investissements réalisés dans un marché en haut de cycle », glisse un acteur du real estate français. « Depuis 2007, nous avons œuvré ensemble à faire connaître les FIA immobiliers au sein de l’environnement Primonial avant de contribuer à la création de Primonial REIM France en 2011 », fait par ailleurs savoir Grégory Frapet.
Départs de Daniel While et Louis Molino
L’autre départ qui n’a pas encore totalement fuité dans la capitale est celui de Daniel While, directeur de la recherche, de la stratégie et du développement durable. « Il doit quitter le gestionnaire d’actifs dans les prochaines semaines pour rejoindre une société de gestion exposée dans la santé », indique un chasseur de têtes. Présent chez Primonial REIM depuis son lancement en 2011, il avait pris la tête de la direction recherche, stratégie et développement durable en 2019. « Son expertise et ses études sont particulièrement appréciées par le marché. Il est considéré comme la star chez les CGP », tient à souligner l'ancien dirigeant d’un gérant concurrent de Primonial REIM. Toujours selon nos sources, depuis plusieurs semaines, Louis Molino n’exerce plus ses fonctions de responsable fund management et de gérant de la SCI Capimmo – le véhicule phare de Primonial REIM avec un actif net de 5,4 Md€ au 15 mars dernier. Arrivé dans le groupe en 2012, il est désormais indépendant. « Après une expérience de plus de seize ans en contrôle financier (six ans), puis en gestion de fonds immobiliers (dix ans), j’ai voulu profiter d’une période de repos, qui pourra me permettre de définir mes priorités professionnelles », indique-t-il sur LinkedIn. De sources concordantes, parmi les 450 collaborateurs Primonial REIM, nombreux sont ceux à être (très) inquiets pour l’avenir du groupe. « Plusieurs burn-out ont été remontés aux ressources humaines », glisse un habitué de la société de gestion.
Le président France sur le départ ?
Au Mipim – et même bien avant – les acteurs du real estate tricolore ont posé systématiquement la question à leurs visiteurs : Grégory Frapet va-t-il ranger ses habits de président du directoire de Primonial REIM ? Parmi toutes les personnalités de la pierre parisienne interrogées par CFNEWS IMMO, la grande majorité indique que son départ - dépendant des actionnaires - est une question de semaines. « Si son professionnalisme est reconnu par l’ensemble de ses pairs, il incarne aussi les mauvaises décisions prises ces dernières années en politique d’investissement, rappelle une source en triple off. C’est assez triste, mais avec la crise que traverse le groupe, il apparaît comme l’homme à abattre. Il appartient désormais aux actionnaires de savoir qui va pouvoir incarner la nouvelle étape du développement de la société de gestion. » Et un autre acteur d’ajouter : « Sa récente interview accordée à Business Immo lui a valu les pires critiques du marché, comme des porteurs de parts des SCPI. » Pour rappel, Grégory Frapet – qui a débuté sa carrière à la direction financière de La Française rattachée aux SCPI – a poussé la porte de Primonial en 2007, pour prendre le poste de directeur immobilier. Quatre ans plus tard, il a été promu directeur général du pôle REIM, avant d’en devenir le président du directoire en 2018.