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Real estate : les points clés de cette rentrée en terra incognita

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De mémoire d’investisseurs immobiliers, l’environnement économique mondial n’a jamais été si perturbant pour le real estate, bien que la classe d’actifs est celle dont la performance est le plus directement polarisée sur l’inflation, comme le rappelle l’IEIF.

| 2217 mots

La hausse des prix n'est pas un événement macro-économique inconnu aux professionnels de l’immobilier. Les années 70 leur avaient déjà démontré que l'immobilier est l'une classe d'actifs qui traverse le mieux ces périodes de turbulences, dont la sensibilité à l'inflation n'a rien à voir avec les marchés financiers. Pour autant, cette rentrée est différente. « On entre en terra incognita, assure Pierre Schoeffler, l’un des plus avisés senior advisors de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF) et conseiller du président de La Française. L’immobilier est en lévitation et lorsqu’il l’est, il ne transacte pas. » Voilà sa réponse à ceux qui s'interrogent sur le pouls du real estate en cette rentrée.  

Le contexte économique 

Pierre Schoeffler - IEIF 

Pierre Schoeffler - IEIF 

Avant de lister plus en détail les impacts de cette nouvelle conjoncture, un flash back s'impose sur les trimestres qui ont suivi une année 2019 exceptionnelle (rappelons les 40 Md€ investis en immobilier d'entreprise en France, la compression des taux, les valorisations des actifs...). Reprenons dans l'ordre : apparition du Covid-19, confinements successifs, arrêt total de l'économie, injections massives de liquidités par les banques centrales et les États, apparition de pénuries de tous types, surchauffe de l’économie avec les prémices de l'inflation. Puis invasion brutale de l’Ukraine, inflation incontrôlée, remontée soudaine et progressive des taux d’intérêt, aggravation des pénuries, pouvoir d’achat des ménages plombé, choc énergétique en zone euro, catastrophes climatiques de l'été, hausse du dollar…. « Nous avons quitté trente ans de basse inflation et sommes entrés dans la déglobalisation », résume très simplement Pierre Schoeffler. Conséquence : seule une récession peut permettre à l'économie de retrouver un cours normal, à condition qu’elle ne s'éternise pas. Et le consensus est clair chez les acteurs du real estate : on s'achemine tout droit vers cette récession et ce réajustement du marché, qui ne manque toujours pas de liquidités, bien au contraire. Il n'y a qu'à se fier à la collecte record enregistrée par les SCPI : 5,2 Md€ sur les six premiers mois de l’année, en hausse de 39 % par rapport au dernier semestre 2021 d'après l'Aspim. Il résulte de cette équation une réaction bien connue des professionnels : l'attentisme. « Ce que nous observons actuellement sur le marché immobilier, c'est une attitude attentiste de la part des investisseurs institutionnels, mais pas de ventes forcées, ni de détérioration rapide des fondamentaux de l’immobilier, ni de menace sur la liquidité des actifs », écrit ainsi Primonial REIM dans sa dernière analyse.

Où en est-on à la fin du premier semestre ? 

Irène Fossé, AEW.

Irène Fossé, AEW.

Avant le choc énergétique de l'été, les indicateurs étaient plutôt bons sur le marché de l'immobilier tertiaire français. Dominé par les investisseurs institutionnels et les gérants de SCPI, l'investissement affichait une bonne dynamique, avec plus de 11 Md€ engagés en immobilier d’entreprise – bureau, commerce, logistique, locaux d’activités. C'était le temps où les investisseurs blâmaient le manque d'offres dans le bureau value-add, où le bureau prime s'envolait à 2,6 % et leurs loyers à plus de 900 €/m2/an pour les plus beaux actifs du QCA. L'appétit pour la logistique était insatiable, entrainant une compression des taux jamais vue. Le résidentiel était dans toutes les thèses des institutionnels. L'immobilier de santé également, tout comme le retail et l'hôtellerie, redevenus générateurs d'opportunités. Puis l'été meurtrier est arrivé et tout a changé. « Quasi tous les processus dont le marketing a été lancé à ce moment-là ont connu un coup d'arrêt », affirme un investisseur. En cause : la hausse du coût de la dette bien sûr mais aussi le choc énergétique, qui place les utilisateurs dans une situation de solvabilité très inconfortable. Résultat : le second semestre démarre avec un recul notable de l'appétit pour la logistique, pour le résidentiel (un appel d'offres sur un beau portefeuille de logements existants n'a d'ailleurs reçu aucune offre émanant d'institutionnels...), plus ou moins accentué sur le bureau, tandis que l'hôtellerie et le commerce sortent petit à petit des cibles des investisseurs. « Le second semestre est moins dynamique, constate Irène Fossé, directeur de la recherche et de la stratégie chez AEW, qui a participé au point de rentrée de l'IEIF de la semaine passée. Les transactions en attente de signature ont nettement baissé. » Sur le seul marché du logement, près de 300 M€ de process en cours de marketing ont été retirés entre les mois de juin et de juillet, faute d'offres ou de souhait des vendeurs de revoir leurs prix à la baisse. 

Les actifs Peter Pan, ceux qui ne vieillissent jamais  

Isabelle Scemama - Axa IM-RA

Isabelle Scemama - Axa IM-RA

Pour ceux qui souhaitent déployer malgré ce contexte économique très difficile à lire, l'extrême sélectivité est fortement conseillée. « La rotation des actifs dont le rendement en capital repose sur la compression des taux de capitalisation, surtout s’il s’agit d’actifs secondaires, doit être accélérée au profit des actifs dont le rendement en capital repose sur une dynamique solide des revenus locatifs », assure l'IEIF. Ce sont, comme les appelle Irène Fossé, les actifs "Peter Pan", ceux qui ne vieillissent jamais. Un constat qui part de la nette progression des loyers prime dans les quartiers les plus centraux de la capitale, alors qu'ils baissent dans les marchés périphériques sur-offreurs et loin d'attirer investisseurs et utilisateurs. C'est aussi ce que faisait déjà valoir Isabelle Scemama lors de sa table-ronde à l'EPRA du 7 septembre dernier. Pour la global head d'Axa IM Alts, « pour constituer un portefeuille qui surperforme, il faut intégrer les mega trends et retourner aux basiques  : localisation centrale, actif qualitatif et vertueux, équilibre entre la demande et l'offre... » Priorité au cash-flow locatif donc (auprès de locataires solvables).  

Repricing 

Pour les autres ? Et bien, il va falloir se faire aux renégociations de prix. Plusieurs process sont déjà suspendus faute de compromis trouvé entre des vendeurs maintenant des prix élevés, et des investisseurs attendant un repricing. « Il est encore trop tôt pour avoir une idée de ce repricing, mais il est déjà plus marqué sur le marché de la logistique car les ventes sont des développements portés par des promoteurs devant dérisquer leurs bilans et donc aller au bout de la transaction, détaille Irène Fossé. Le repricing est aussi plus important pour les transactions de grande taille et les actifs les plus risqués. Les centres commerciaux ont d'ailleurs déjà repricé. » Tout comme les immeubles de logements résidentiels existants, qui accusent déjà une décote de 25 à 30 % selon un spécialiste de ce marché. « Plus aucun institutionnel ne se positionne lorsque le dossier affiche des taux bas, de mauvaises performances énergétiques, dans un contexte de taux directeurs élevés. La décote correspond au niveau de capex à injecter pour le remettre aux normes. C'est le coût du verdissement. » Selon un autre investisseur, si l’économie continue à se dégrader, on pourrait assister à un retour du marché des asset swap comme en 2008 et 2009, où 4 Md€ avaient ainsi été transactés par des institutionnels, ce qui avait pour avantage de ne pas afficher les prix.

Le casse-tête du financement 

Une autre composante essentielle d'un deal est évidemment le financement et les marges des prêteurs. Là aussi, les investisseurs font face à une situation compliquée : « Les marges évoluent actuellement de 90 pdb à 190 pdb pour un même actif, assure un grand gérant d'actifs. Autant dire que le 190 pbd est un "non" poli. » Pour les fonds très leveragé, l'équation est impossible et plusieurs, à l'instar de J.P. Morgan, se sont d'après nos sources retirés sur certaines classes d'actifs comme le résidentiel. Face à cette hausse du coût de la dette, les taux de rendement commencent mécaniquement à augmenter. 

Prime de risque 

« Les taux d’intérêts étaient à zéro fin 2021, à 2,20 % en juin, à 1,40 % en août, à 2,10 % en septembre, liste un investisseur. Comment déterminer le prix des actifs dans un tel contexte ? La composante taux, qui est essentielle dans un deal, est d’une volatilité extrême en cette rentrée. » La prime de risque – qui est le total return attendu de l’immobilier et le total return attendu des emprunts d’État – reste certes rémunérée, mais avec une nuance. « Sur le bureau prime en zone euro, cette prime de risque est constituée à 85 % par des anticipations d’inflation. Elle est donc de faible qualité et très sujette à des révisions à la hausse et à la baisse, note Pierre Schoeffler. Cela va se traduire par une instabilité. En France comme en Allemagne, elles sont à leur niveau de long terme, mais depuis le début de l’année, les taux des emprunts d’État ont vivement progressé, alors que les taux de capitalisation n’ont pas décalé. L’écart entre les taux de capitalisation des bureaux prime Paris QCA et le taux des OAT 10 ans se réduit très vite », poursuit-il. 

Priorité au cash-flow locatif  

« Considérant l’anticipation d’une inflation à long terme de l’ordre de 5 %, la croissance des revenus locatifs à long terme pourrait s’établir autour de 8 %, avance Pierre Schoeffler, avant de détailler longuement son propos. Par rapport au niveau actuel du rendement locatif, une hausse de 30 pdb de ce rendement annihilerait cet effet d’indexation sur le rendement en capital. Cette hausse correspond à 60 pdb du taux des OAT 10 ans et au maintien d’un taux d’intérêt réel de long terme fortement négatif à -2,5 %. Mais la leçon des années de forte inflation dans la décennie 70 montre que le rendement locatif croît de moins en moins vite au fur et à mesure que les taux d’intérêt montent, et qu’il plafonne à 7 %. Au-delà de ce niveau, l’effet d’indexation joue à plein sur le rendement en capital. » De son côté, Irène Fossé avance une poursuite de la croissance locative sur plusieurs typologies d'actifs : le prime dans les locaux d’activités, le résidentiel, la logistique car l'offre est inférieure à la demande. Dans les logements, cette croissance des loyers de marché dans le cadre de nouveaux baux pourrait être d'environ 2,6 % par an pour le résidentiel et de 2,4 % par an pour la logistique. À noter que ces prévisions ont été établies avant l'apparition du choc énergétique... 

Offre de plus en plus rare 

Il est un autre point qui fait consensus en cette rentrée : le nombre de développements spéculatifs va baisser. Dans la logistique, dans le résidentiel – où les vefas se font plus rares – mais aussi dans le bureau. La hausse des coûts de la construction (il est de l’ordre de +15 à 20 % pour les nouveaux programmes dans la logistique notamment, selon Argan), couplée à la cherté du foncier, à la pénurie des matériaux, aux délais de chantier, à la Ville de Paris qui interdit tout chantier entre mars et octobre 2024... Autant de facteurs qui vont limiter l’offre neuve. 

Le risque climatique

Planète verte 

Planète verte 

Pour tous ceux qui suivent de longue date le marché du real estate, il y a un changement de taille qui prend de l'ampleur en cette rentrée : la prise en compte des risques ESG et climatiques dans les portefeuilles des investisseurs. Certes, avant tout pour préserver et améliorer la valeur des actifs. Mais aussi, pour soutenir l’objectif des Nations Unies de 2°C. Il ne fait aucun doute que les professionnels du marché y vont à marche forcée, fortement incités par les occupants de leurs parcs. Un exemple : les logisticiens, métier à faible marge et déjà très impacté par le choc énergétique, ont commencé à renégocier leurs loyers dès cet été, remettant en question la spirale haussière des valeurs locatives sur le marché de la logistique. Les renégociations sont d'autant plus sensibles que les prix de l'énergie sont appelés à rester durablement élevés. Les gérants d'actifs ont pris la mesure. Chez un grand asset manager de la place, deux business plan sont désormais mis en place pour chaque transaction : le traditionnel relatif au deal, et un business plan carbone. Objectif : déterminer le montant des capex à injecter pour avoir un portefeuille aux normes du marché. La tendance est également perceptible dans les prochains événements de l'immobilier. AEW va ainsi présenter une étude sur les risques physiques sur les marchés immobiliers en Europe, allant des inondations, aux tempêtes, aux feux, aux îlots de chaleur urbains ou encore aux submersions marines. L’IEIF va de son côté faire un point sur une interrogation rarement posée : "Doit-on revoir les méthodes d’expertise aujourd’hui, en intégrant le développement durable ? ". 

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