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Liaisons dangereuses entre inflation, OAT, et taux sans risque

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Xavier Goénaga Butèle, responsable des études économiques et financières chez Finance Active, spécialiste de solutions SaaS pour la gestion de la dette, décortique le lien entre valorisation des actifs immobiliers et OAT : il livre son analyse de l’inflation et du niveau de rendement de ce taux « sans risque » ou « de référence » qu’est l’OAT à 10 ans.

| 1287 mots

Xavier Goénaga Butèle, Finance Active.

Une des méthodes de valorisation des actifs, qu’ils soient financiers (comme les entreprises), dérivés (comme les swaps de taux), ou immobiliers, est celle dite de l’actualisation des flux futurs, ou DCF (Discounted Cash Flows). Appliqué à l’immobilier, son principe est de projeter les flux futurs (loyers, etc.) sur une période donnée, mais aussi une valeur terminale (valeur de revente potentielle du bien) ; et d’actualiser l’ensemble de ces flux pour en déduire une valeur. Mais, si le principe est simple, l’application est moins aisée, car au-delà de la difficulté de l’exercice de prévision des flux, une autre difficulté, non moins grande, est celle du choix du taux d’actualisation. 

L’impact du taux d’actualisation et de l’OAT sur la valorisation de l’actif immobilier

Le taux d’actualisation est le taux de rentabilité exigé par le marché pour investir dans cet actif. Il se décompose donc en un taux sans risque, auquel on ajoute une prime de risque spécifique au marché immobilier, ceci afin de prendre en compte le risque immobilier et l’illiquidité relative de cet actif. 

Parmi l’offre de taux sans risque disponible (swaps de taux, Overnight Indexed Swaps, emprunts d’État pour ne citer qu’eux), les emprunts d’État français, OAT (Obligations Assimilables du Trésor), sont couramment utilisés. Or, depuis plusieurs semaines, les rendements de la dette d’État sont redevenus particulièrement volatiles. Au 4 janvier 2021, par exemple, l’OAT 10 ans cotait à -0,364 %, alors qu’à fin février, elle cotait en territoire positif (0,03 % au 25 février), soit une hausse de plus de presque 37 points de base. Dans ces conditions, toutes choses égales par ailleurs, des actifs immobiliers valorisés début janvier auraient affiché une valeur supérieure à la valeur calculée fin février, et ce, alors même que le contexte économique s’améliore. Pourquoi ?

Parce que ce « taux sans risque » qu’est l’OAT, qui sert d’outil à la valorisation des actifs, est lui-même un actif et donc influencé par de nombreuses variables macro-économiques. Or, depuis quelques semaines, le sujet de l’inflation revient en force sur le devant de la scène. Les opérateurs de marché anticipent en effet un retour de l’inflation, et exigent donc, en contrepartie de l’achat de la dette de l’État français, un rendement nominal supérieur afin de compenser la perte de rendement due à un potentiel retour de l’inflation. 

Quelle évolution à venir des taux d’OAT ? 

En 2020, en pleine crise sanitaire et économique mondiale (2,6 millions de victimes dans le monde et un PIB en zone euro en recul de 6,8 %), les OAT ont joué, sur les marchés financiers, leur rôle de valeur refuge. En effet, les opérateurs de marché, face à cette crise, ont délaissé les actifs risqués (actions, pétrole, etc.) et acheté des actifs non risqués tels que les emprunts d’État. L’OAT française à 10 ans est ainsi passée en un an de 0,08 % au 2 janvier 2020 à -0,364 % au 4 janvier 2021.

Cependant, en ce début d’année 2021, les perspectives de reprise économique, sur fond de campagnes de vaccination mondiales et de relances économiques massives, sont à nouveau au beau fixe et ce malgré les incertitudes persistantes au niveau sanitaire. Les prévisions de croissance économique en zone euro sont en effet de 3.8 % en 2021 et 2022 d’après la Commission européenne. Ces perspectives positives ont donc pour effet, via la baisse des achats d’OAT, d’augmenter mécaniquement les rendements obligataires. 

Dans la composition du rendement des OAT, la véritable inconnue est aujourd’hui l’inflation 

Alors que les anticipations d’inflation - par les opérateurs de marché - sont de retour, avec comme corolaire une augmentation des rendements exigés, cette inflation va-t-elle pour autant réellement se concrétiser ? L’exercice de prévision est difficile. Néanmoins, des éléments clefs peuvent nous aider à dessiner une tendance. 

Tout d’abord, les anticipations d’inflation peuvent avoir un effet autoréalisateur. Au sein des entreprises, les employés, s’ils anticipent une hausse de l’inflation, seront incités à négocier à la hausse leurs futures rémunérations et ce, d’autant plus que le chômage est faible et les perspectives de croissance importantes. Or, les études empiriques montrent que les entreprises, afin de compenser les hausses de salaires, ont généralement tendance à augmenter les prix de vente de leurs biens et services afin de maintenir leurs marges. 

Pour autant, pourquoi les acteurs économiques anticiperaient-ils une hausse généralisée des prix ? Tout d’abord, parce que l’on observe au niveau mondial une pénurie des produits intermédiaires, une hausse du coût du transport maritime (le prix d’un conteneur de 20 pieds pour relier la Chine à l’Europe est passé de 1000$ en juillet 2020 à plus de 4 400$ à fin janvier 2021), et un retour des prix du pétrole aux alentours des 60$ le baril de WTI. Or, tous ces facteurs renchérissent les coûts de production des entreprises, et l’on peut penser que ceux-ci se répercuteront tôt ou tard sur les prix de vente. En outre, les enjeux de protection sanitaire au sein des entreprises ayant engendré entre autres une réduction des capacités d’accueil ont fait baisser les capacités de production des entreprises ; et ce, alors même que l’on anticipe une reprise de la consommation, soutenue entre autres par les différents plans de relance budgétaire (voir le plan de relance de 1 900 Md€ supplémentaires du président Biden aux États-Unis). 

Ainsi, la conjonction d’anticipations d’inflation autoréalisatrices, de coûts de production en hausse et d’un potentiel décalage à venir entre la capacité de production des entreprises et une consommation qui devrait s’accroître, semble constituer le terreau idéal d’un retour réel de l’inflation. 

En synthèse

  • La sensibilité des actifs immobiliers au taux d’actualisation est d’autant plus forte que la durée de l’actif est importante (concept de duration en gestion de portefeuille d’actifs à taux fixes) et que ses cash-flows sont peu élevés (équivalent des coupons) : le choix du taux d’actualisation est donc un véritable enjeu pour valoriser un actif immobilier. 
  • Ces dernières semaines, les récents changements de perspectives d’inflation ayant rendu le rendement des OAT particulièrement volatile, quel taux retenir dans son modèle de valorisation d’actifs ?
  • Au niveau des fondamentaux macroéconomiques et financiers, le retour attendu de la croissance mondiale en 2021 et 2022, associé aux pressions inflationnistes récentes et à des anticipations d’inflation autoréalisatrices, créent les conditions idéales pour que le rendement actuel de l’OAT 10 ans se maintienne, voire même augmente en 2021 et 2022.
  • Toutefois, il ne faut pas oublier ni sous-estimer le rôle, la volonté et la capacité d’un acteur devenu majeur sur les marchés financiers. En effet, la BCE peut tout à fait, comme elle l’a annoncé le 11 mars dernier, et même si ce n’est pas son mandat explicite, exercer - via ses d’achats d’actifs- une pression baissière sur la courbe des OAT ; ce qu’elle ne manquera pas de faire afin de « maintenir des conditions financières favorables ». 
  • L’OAT 10 ans sur ses niveaux bas actuels semble donc avoir encore de beaux jours devant elle.
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