L'immeuble #Curve, à Saint-Denis
Non, l’activité des deal makers n’est pas à l’arrêt. Et notamment pas celles des investisseurs français, institutionnels et véhicules de collecte d’épargne immobilière en tête. Ils restent très actifs malgré la crise sanitaire et l’attentisme généralisé du marché immobilier. C’est l’un des grands constats dressés ces dernières semaines par les observateurs du marché : ceux qui ont d'importants fonds propres entendent bien continuer à déployer leurs capitaux dans des actifs sécurisés, et un marché devenu moins concurrentiel. Pour preuve, un institutionnel français all-equity vient de signer l'hôtel particulier du 7 rue Magdebourg, dans le 16e arrondissement, occupé par Morning Coworking, à près de 26 000 €/m2 selon nos sources. Une performance réalisée en pleine crise par Générale Continentale Investissements (GCI), vendeur de l'actif au côté d'un family office. Les grands gérants de SCPI font eux aussi tous état de plusieurs signatures en cours, à l'instar de BNP Paribas REIM qui vient de s'emparer du 47 Quai d'Austerlitz (≈ 300 M€) comme CFNEWS IMMO l'a révélé. En 24h, Deka Immobilien lui a cédé cet actif, au dépit d'Amundi Immobilier et de Primonial REIM également dans la short list finale. Les investisseurs français confirment d'autant plus leur appétit pour la pierre que, comme le signale Knight Frank, « le marché français aborde cette crise avec de meilleurs fondamentaux que lors des précédents chocs. Le spread, qui avantageait nettement le compartiment immobilier avant le déclenchement de la crise sanitaire (écart de 275 pdb avec l’OAT 10 ans au début de 2020 contre 215 pdb en 2008) devrait rester positif du fait des mesures de soutien prises par l’État et la BCE », affirme le conseil.
De grands process en cours
Sur le marché, cela se concrétise par la poursuite de grands process, initiés avant la crise. Parmi les principaux appels d'offres en cours dans le bureau parisien, figure notamment la vente d'un nouvel actif de BNP Paribas situé dans le 2e arrondissement, mais aussi celle du siège de Neuflize OBC au 3 avenue Hoche, dans le 8e. Selon nos informations, dix bidders participent au deuxième tour de cette opération à plus de 300 M€, parmi lesquels des fonds américains, des foncières cotées et des gérants de SCPI. C'est actuellement le plus grand dossier de la place, suivi par de très nombreux acteurs. Du côté de La Défense, le process de la tour Areva n'a pas non plus été stoppé par la crise sanitaire et selon nos sources, Nuveen Real Estate et Amundi Immobilier, ses propriétaires, étudient actuellement deux offres finales présentées par deux binômes, parmi lesquels des étrangers.
Correction des prix
« Des négociations se poursuivent, notamment celles qui étaient déjà très avancées, sans pour autant nier la nouvelle réalité du marché, qui pourrait avoir pour conséquence une correction du prix des actifs, particulièrement pour les actifs core dont les valorisations étaient très élevées, assure ainsi Michael Lévy, associé en immobilier chez Hogan Lovells. Les investisseurs français sont présents, à la différence des investisseurs étrangers qui sont aujourd'hui beaucoup moins actifs. » Les actifs core, qui concentraient près des deux tiers des volumes investis en bureaux en Île-de-France l'an passé et même 75 % au 1er trimestre 2020 d'après Knight Frank, restent logiquement en première ligne des marques d'intérêt. Les derniers chiffres du marché locatif ne peuvent que confirmer l'appétence pour des immeubles aux revenus locatifs sécurisés. À peine 340 300 mètres carrés ont été placés dans les bureaux franciliens depuis le début de l'année selon les premières estimations d'Immostat, marquant le plus mauvais démarrage du marché locatif depuis 2004... « Sur certains appels d’offres lancés en début d’année, des renégociations de prix auront probablement lieu, car les perspectives de réversion positive de loyers et les conditions de financement ont changé sur une vision court terme, sans forcément être définitif, indique ainsi Raphael Raingold, directeur des investissements de GCI. Mais pour les dossiers les plus avancés, ou ceux portant sur des actifs prime ou sécurisés, il n’y a pas de raison que les conditions évoluent compte tenu de l’appétit pour ces produits. »
La part belle aux fonds propres
Trois jours avant que la France n’entre à son tour dans le confinement généralisé, le directeur des investissements de GCI aurait signé la promesse de vente de l’immeuble #Curve, à Saint-Denis, auprès d’Amundi Immobilier. Heureux timing ? Pas que. L’actif est déjà sécurisé auprès d’un grand locataire pour plus de la moitié de ses surfaces, en l'occurrence l’Agence régionale de santé. « L’appétit pour l’immobilier est toujours très présent pour des fonds value-add, assure Raphaël Raingold, mais surtout pour les investisseurs en fonds propres, disposant d’importantes liquidités et n’ayant donc pas recours à de la dette. Ils vont pouvoir déployer leurs capitaux, dans un marché devenu légèrement moins concurrentiel. Le point bas de la compression des taux n’a peut-être pas encore été atteint pour certains actifs… » En revanche, pour les immeubles dont le chantier était en cours ou prêt à être lancé, ou encore pour ceux dont la livraison était imminente et qui ne sont pas commercialisés, une période de flottement s’annonce, dont la durée n’est encore connue d’aucun acteur du marché.
Le 83 Marceau à 960 €/m2/an
« Sur les opérations à venir, les investisseurs font preuve de plus d'attentisme, d’autant plus que de nombreux chantiers sont suspendus et qu’il peut y avoir des risques de défaut des locataires dans les mois à venir », indique Corinne Knopp, associée en immobilier d'Hogan Lovells. Attentisme également pour les dossiers qui requièrent un financement. Avant même l’apparition du coronavirus dans le monde, les prêteurs avaient commencé à réduire leurs volumes de prêts, notamment pour les actifs en blanc, en raison d’un marché locatif qui avait déjà déçu l’an passé. Leur prudence a redoublé depuis la propagation du Covid-19, qui se traduit déjà par une révision à la hausse de leurs spreads. Les mauvaises prévisions sur le marché locatif sont aussi ce qui incite certains preneurs à suspendre la signature d’actifs prime du Triangle d’Or à plus de 900 €/m2/an. Selon nos informations, plusieurs dossiers sont suspendus, en attendant d’y voir plus clair, sans être définitivement annulés. À l'inverse, les négociations se poursuivent pour des actifs exceptionnels. Selon nos informations, la signature d'un befa sur le 83 Marceau, propriété de SFL, à 960 €/m2/an, est toujours attendue pour la fin du mois d’avril, quand bien même le chantier de restructuration de l'immeuble est à l'arrêt. Des secteurs qui étaient moins prisés ces derniers mois, reviennent aussi dans le spectre des utilisateurs. « À court terme, certains marchés secondaires aux loyers attractifs peuvent redevenir intéressants, comme le secteur de péri-Défense. Il n’y a rien à éliminer », affirme Raphael Raingold.