« En quelques mois, les conditions de marché ont radicalement changé », expose d’emblée David Bourla, directeur des études chez Knight Frank, dans son bilan du premier semestre. Plutôt optimistes en début d’année, les spécialistes du marché n’ont pu qu’observer la dégradation du contexte économique – tout d’abord suite à la guerre en Ukraine, plus récemment par la remontée des taux et la réduction du robinet à crédits. Pas de quoi, dans un premier temps, freiner la dynamique du marché immobilier, qui affiche plus d’11 Md€ engagés au cours du premier semestre, dans le bureau, le commerce, la logistique et les locaux d’activités. Ce volume s’affiche en hausse de +20 % par rapport à l’an passé – l’un des millésimes les moins bien lotis de la décennie –, ainsi que par rapport à la moyenne décennale. Mais l’euphorie est souvent de courte durée, et les impacts des évènements susmentionnés devraient se faire sentir après l’été, notamment dans les volumes investis…
Le bureau parisien à 3,2 Md€
La capitale résiste
Traditionnelle plus grande classe d’actifs en France, le bureau conserve son rôle moteur, notamment à Paris et en Île-de-France, où il concentre plus de 5 Md€ engagés au cours du premier semestre, selon les données de CFNEWS IMMO. Ce volume est largement porté par Paris intra-muros avec 3,2 Md€, où se sont signées les plus grandes transactions du semestre, au rang desquelles l’acquisition du 91 Pasteur (siège d’Amundi) par SFL auprès de Primonial REIM (484 M€), la mainmise sur le 2 Rio par M&G Real Estate auprès d’Ardian (280 M€), la vente-utilisateur opérée par Dassault sur Society Lorette auprès d’Axa IM Alts/Norges Bank IM (256 M€), l’acquisition d’une quote-part de 60 % dans Carré Suffren par CA Assurances auprès de Covivio (249 M€) ou encore l’investissement de Primonial REIM dans Gambetta Village auprès d’Icade (219 M€). Au total – et toujours selon nos données –, la capitale concentre plus d’1,5 Md€ rien que dans le bureau du QCA. Porté par deux deals de grande envergure ainsi que par une grande transaction, le 15e arrondissement est l’autre secteur parisien qui se démarque au S1, cumulant près de 900 M€.
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Le bureau IDF à moins de 2 Md€
Quand la périphérie s’essouffle
Loin du dynamisme parisien, le bureau en Île-de-France subit une vraie perte de vitesse depuis le début de l’année. Selon les données de CFNEWS IMMO, les différents secteurs hors Paris peinent à atteindre les 2 Md€ investis au S1. « Cette chute s’explique notamment par la faiblesse des sommes engagées dans certains pôles tertiaires habituellement moteurs, comme le Croissant Ouest », observe Knight Frank dans son étude semestrielle. En effet, moins de 700 M€ étaient investis dans cette zone, qui fait habituellement jeu égal avec la capitale, à travers quelques transactions tout de même significatives, comme Perial AM qui s’offre West Park 2 à La Défense (peu ou prou 200 M€) ; La Française REM et la Banque des Territoires qui mettent la main sur Alphabet à Bois-Colombes (≈150 M€) ; ou encore Airef qui reprend InPost à Neuilly (80 M€) ; et CA Assurances qui récupère le solde de 10 % dans Bridge à Issy-les-Moulineaux (70 M€). D’autres deals viennent toutefois renforcer l’investissement dans le Croissant Ouest mais seulement depuis le troisième trimestre, à l’instar de RedTree Capital sur Carré Champerret à Levallois (>150 M€) ou GCI et AIMCo sur Being à La Défense. La Première couronne Nord cumule quant à elle un peu moins de 900 M€ au premier semestre – Hamo pour 255 M€ à Saint-Denis, Les Ateliers du Parc pour 175 M€, H2B pour 150 M€ et enfin Urbia pour 91 M€ à Clichy, ou encore Envergure à Romainville pour 147 M€ –, quand la Première couronne Est dépasse difficilement la barre des 100 M€. La Première couronne Sud, pour sa part, est atone aux cours des six premiers mois de l'année, mais semble repartir au troisième trimestre avec l’acquisition de Wellcome par La Française REM à Malakoff.
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Le bureau en région à plus d’1,2 Md€
Des transactions majeures portent le S1
Si l’Île-de-France est, dans sa globalité, plutôt en perte de vitesse dans le bureau au premier semestre, ce n’est absolument pas le cas du bureau en région, qui affiche une dynamique insolente par rapport à la capitale. Plus d’1,2 Md€ sont déjà engagés dans le tertiaire des territoires selon les données de CFNEWS IMMO, un volume porté par deux big deals signés par Perial AM à Marseille (La Marseillaise, 250 M€) et par Principal Real Estate/Atream à Lyon (Urban Garden, 150 M€). Ce sont d’ailleurs ces deux métropoles qui regroupent le plus de capitaux au premier semestre, avec quelque 300 M€ pour la capitale rhodanienne – également portée par la vente-utilisateur opérée par Ionis pour 64 M€, ou encore par le sale & leaseback d’Adocia avec Mata Capital contre 20 M€ –, et 270 M€ pour la cité phocéenne. Parmi les investisseurs les plus actifs dans les régions tricolores au niveau du nombre de deals, la foncière cotée Inéa se taille une bonne part du gâteau avec trois opérations pour 90 M€, de même que Groupama Gan REIM avec trois investissements contre 50 M€, ou encore Arkéa REIM avec trois acquisitions pour 20 M€. « Nous sommes persuadés de l’intérêt pour les investisseurs de se positionner sur le marché des bureaux en région, compte tenu de la forte dynamique du marché locatif et de l’augmentation programmée des valeurs, en raison de la raréfaction de l’offre neuve à venir », explique Jean-Laurent de La Prade, directeur général adjoint de BNP Paribas Real Estate Transaction, en charge du pôle dédié aux régions.
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Le commerce à 2,5 Md€
Une étonnante forme olympique
Talonné – puis dépassé – par la logistique ces dernières années, le retail tient sa revanche et retrouve sa traditionnelle deuxième place dans les volumes investis, derrière le bureau. Cette typologie, certainement celle qui revient le plus loin de la crise sanitaire, cumule 2,5 Md€ engagés sur la période, « faisant du premier semestre 2022 le meilleur de l’histoire pour les commerces, après la performance hors norme de 2014 qui avait vu la vente de Beaugrenelle et de grands portefeuilles de centres commerciaux », explique David Bourla de Knight Frank. Des centres commerciaux aux retail parks, en passant par l’alimentaire, le pied d’immeuble et la galerie commerciale, toutes les sous-typologies sont restées dynamiques depuis le début de l’année. Le semestre reste toutefois porté par la cession de 45 % de Westfield Carré Sénart par URW à Société Générale Assurances et BNP Paribas Cardif (450 M€), par la reprise d’un vaste portefeuille Olympe (Decathlon) par BNP Paribas REIM (150 M€), par la mainmise sur le portefeuille Fast (Burger King, Quick) par Ares (140 M€), par la finalisation de la cession de plusieurs magasins Galeries Lafayette qui rejoignent la SGM (>100 M€), par l’arbitrage de six actifs par Carmila (120 M€), par le positionnement d’un trio d’investisseurs sur Les Flâneries (>100 M€) ou encore par la cession d’un portefeuille Buffalo Grill par Klépierre (>100 M€). Une nouvelle fois, les hypermarchés Casino continuent d’animer le marché avec une douzaine d’actifs échangés au S1 – dont en portefeuilles – pour 290 M€ au total, via des investissements réalisés par Tristan CP, Inter Gestion REIM, Groupe CTI, Amundi Immobilier, M&G Real Estate et AnaCap avec DTZ Investors.
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La logistique à 2,5 Md€
Une classe d’actifs intégrée
À force de jouer au chat et à la souris avec le commerce, la logistique en a trouvé une certaine stabilité dans ses volumes engagés. Au premier semestre 2022, pas moins de 2,5 Md€ étaient investis dans cette classe d’actifs selon les données de CFNEWS IMMO, notamment dans le cadre de portefeuilles. GLP Europe a ainsi mis la main sur le portefeuille européen Trio qui représente 375 M€ en France auprès de Blackstone, quand ABRDN s’est offert le portefeuille Cornerstone auprès d’AEW contre 225 M€. Les entrepôts XXL portent également le volume d’investissement, dont celui de Renault à Fouchères repris par Argan (170 M€), ou bien celui de Zalando en IDF valorisé par Deka Immobilien (155 M€). Au total, plus de dix deals supérieurs à 100 M€ sont répertoriés au S1, cinq transactions dans la fourchette 50-100 M€, ainsi que dix cessions de 20-50 M€. « L’excellente performance du premier semestre et le volume des transactions en cours nous permettent d’envisager une année 2022 en ligne avec 2021 », apporte Simon-Pierre Richard, directeur investissement L&I France chez JLL.
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L’hôtellerie, le résidentiel et la santé
3,5 Md€ viennent s’ajouter
Outre les classes d’actifs dites traditionnelles qui sont prises en compte par les brokers, il convient d’ajouter les autres typologies que sont le résidentiel, l’hôtellerie et la santé. Au cours du premier semestre 2022, selon les données de CFNEWS IMMO, le résidentiel regroupe près de 2,5 Md€, un volume porté par la finalisation de l’opération Lamartine en début d’année (2 Md€), ainsi que par plusieurs acquisitions de La Française REM, AG2R La Mondiale, CDC Investissement Immobilier, M&G Real Estate ou encore LaSalle IM. Pour sa part, l’hospitality cumule plus de 700 M€ sur la période, notamment via les cessions de deux Club Med en montagne repris par BNP Paribas REIM et Perial AM, ainsi que par des hôtels parisiens échangés au profit d'Icade Promotion (4* Crowne Plaza de Neuilly qui va être transformé), Denise Dupré (5* Pont Royal) ou bien Honotel (3* L’Atrium à Suresnes). Enfin, l'healthcare regroupe près de 200 M€ engagés sur le territoire, par les acteurs traditionnels que sont Primonial REIM ou Euryale AM – à noter l’absence d’acquisitions d’Icade Santé en France sur la période.
Deuxième semestre 2022
Une seconde partie de l’année qui reste peu lisible
Ralentissement économique, incertitudes géopolitiques, environnement financier changeant… Le tableau de la deuxième partie de l’année 2022 reste difficile à dessiner, mais il s’annonce quoiqu’il en soit bien moins coloré que la première. « L’augmentation des coûts de financement et de l’OAT auront certainement des conséquences sur les taux immobiliers et sur le montant global des investissements », anticipe Jean-Laurent de La Prade, quand « la dynamique d’investissement sur le marché français devrait ralentir en fin d'année, compte tenu des incertitudes grandissantes liées à la crise ukrainienne, aux problèmes d’approvisionnement et au ralentissement économique mondial », pour Simon-Pierre Richard. Face à cela, « certains investisseurs pourraient revoir leurs stratégies d’allocation entre les différents actifs », selon Olivier Ambrosiali, directeur général adjoint en charge du pôle vente chez BNP Paribas Real Estate Transaction, ce qui pourrait pousser « certains vendeurs à retirer leur offre du marché », poursuit David Bourla. Si le premier semestre 2022 commençait sur les chapeaux de roues, il ne permettra pas d’absorber le ralentissement attendu au cours des prochains mois, laissant entrevoir une année 2022 en demi-teinte.