Poignée de mains 600
Equity players, banques, assureurs, fonds de dette… : le monde du financement immobilier s’est considérablement financiarisé ces dernières années et offre aujourd’hui une palette d’outils aux investisseurs. Dans un contexte où la liquidité n’a jamais été aussi abondante, que privilégient-ils ? Comment s’y retrouvent-ils ? Tour d’horizon.
En 2016, les investisseurs immobiliers ont acquis pour 25 Md€ d’actifs en France. Dans un marché noyé sous les liquidités, où le coût du financement n’a jamais été aussi faible, comment ces professionnels ont-ils choisi de financer leurs investissements : par l’equity ou en actionnant le levier de la dette ? Dans un secteur aussi capitalistique que l’immobilier, trouver et sécuriser des ressources additionnelles aux seuls fonds propres a toujours représenté un enjeu très important pour les investisseurs. D’autant plus lorsqu’ils ont le souci d’améliorer leur retour sur investissement. L’évidence est néanmoins de dire que les investisseurs en fonds propres continuent de dominer le marché et, en dépit de la baisse des coûts de financement, c’est bien le cas. Huit opérations sur dix se financent aujourd’hui encore en equity alors qu’il y a dix ans, la dette était omniprésente et atteignait des niveaux de LTV inimaginables aujourd'hui. Que représente en 2016, et en volumes, le marché du financement immobilier ? Nul chiffre ne fait l’unanimité auprès des acteurs du secteur. Mais il est point sur lequel tous s’accordent : ce marché a bien changé et continue d’évoluer. Un virage pris lorsque les banques, soumises à Bâle III, ont dû réduire la voilure et ont petit à petit perdu leur monopole sur le marché du crédit. Le financement immobilier s’est financiarisé et surtout désintermédié, avec l’arrivée de nouveaux prêteurs : les assureurs et les sociétés de gestion spécialisées dans la dette immobilière. Ceux qu’on a pris l’habitude d’appeler les “prêteurs alternatifs”.
“Huit opérations sur dix
se financent aujourd’hui encore en equity”
Un monde désintermédié
Cette offre alternative est une conséquence directe de la crise financière et des fortes contraintes prudentielles imposées par les autorités de régulation aux prêteurs traditionnels. Rendant le crédit plus gourmand en fonds propres bancaires, Bâle III a également renchéri son coût et fermé le robinet aux opérations en développement ou nécessitant des financements longs. Dans le même temps, la législation s’est assouplie pour permettre aux fonds de dette de prêter en direct, tandis que les assureurs ont profité de Solvency II pour traiter en fonds propres des investissements en dette immobilière. Axa Investment Managers - Real Assets (Axa IM-RA) s’est lancée en éclaireur sur ce produit moins consommateur en equity et qui offre un couple rendement/risque plus attractif que celui de la dette classique. L’assureur est aujourd’hui le grand leader de la dette immobilière en Europe, avec une plateforme totalisant 11,5 Md€ d’engagements. Convient-il immédiatement de le rappeler, ces prêteurs alternatifs n’ont pas supplanté les banques. Elles sont toujours aussi actives et constituent un acteur incontournable du marché du crédit. Mais en agissant comme des acteurs complémentaires au monde bancaire, les assureurs et gérants spécialisés imposent de plus en plus leur singularité dans le paysage du financement immobilier et mettent fin au monopole des prêteurs traditionnels. Au-delà de la liquidité nouvelle qu’ils apportent, ils se positionnent sur des actifs plus risqués qui peinent à trouver du financement, comme les opérations de développement ou requérant un important travail d’asset management. Couplée à l’abondance de liquidités, cette diversité de prêteurs offre une dynamique de marché favorable aux emprunteurs, ainsi qu’une grande palette de financements. A eux de s’y retrouver et de manœuvrer dans ce paysage diversifié.
Un marché core
Auprès de qui vont-ils chercher ces financements ? Quelles quotités maximales peuvent-ils espérer ? Sur quelles maturités ? Avant d’y répondre, il convient de rappeler un point essentiel : en France, les emprunteurs ont fait le deuil des leviers supérieurs à 75 % et ont quasi oublié à quoi pouvait bien correspondre la mezzanine. Depuis la crise des subprimes et la fermeture brutale du marché du crédit, les investisseurs immobiliers ont intégré le fait qu’ils ne pouvaient espérer retrouver les niveaux de levier atteints avant le choc de 2007. Un autre point est important à souligner en matière de spécificité française : « L’investissement en immobilier d’entreprise est un marché principalement “core” en France, avec une quote-part en volume de près de 60 %, explique Cyril Schlesser (ci-contre), associé, Real Estate & Hotels, au sein de KPMG Corporate Finance. Cette classe d’actifs est particulièrement propice à la mise en place de financements hypothécaires sans recours, impliquant des contrats très encadrés, notamment en matière de sûretés, de clauses d’exigibilité anticipée ou encore de priorité des remboursements. » Chaque typologie d’actifs, chaque profil d’emprunteur peut aujourd’hui trouver prêteur adapté à son projet, du moment qu'il tient la route et que son investisseur frappe aux bonnes portes.
« L’immobilier d’entreprise est particulièrement propice
à la mise en place de financements hypothécaires sans recours »
Aux banques le core
Pour les actifs core/core+, nécessitant des quantums de dette significatifs et dont le profil sécurisé par des baux longs ne requiert pas de montage financier complexe, les banques hypothécaires sont toutes indiquées. C’est le type d’opérations qu’elles cherchent à financer, en veillant toutefois à ne pas dépasser certaines quotités. Les banques hypothécaires montent rarement au-delà de 60 % du coût d'une opération, surtout celles à valeur ajoutée, et ne se positionnent pas sur des dettes juniors ou mezzanines. Elles laissent ces tranches aux fonds de dette, auprès de qui elles syndiquent leurs créances. Pour ce qui est des maturités, les emprunteurs savent qu’ils peuvent espérer obtenir auprès des groupes bancaires du 5 ou du 7 ans, voire du 10 ans pour les banques allemandes, mais guère plus. Les financements longs ne leur conviennent pas. Pour cela, il y a les assureurs.
Aux assureurs le long terme
Aujourd’hui encore, les compagnies d’assurances forment une catégorie à part dans le monde des prêteurs alternatifs, à la puissance de frappe considérable, comme c’est le cas d’Axa IM-RA, d'Allianz Real Estate ou d'Aviva Investors. Ils se sont lancés dans la dette immobilière dans le cadre de leur allocation en dette privée, en recherchant une logique de bonne gestion actif-passif (ALM). Ces institutionnels apprécient d’avoir une partie de leur bilan mobilisée sur des lignes de financement long, qui correspondent bien à leurs passifs de 15 ou 20 ans en moyenne. Ils prêtent ainsi à des emprunteurs souhaitant financer des actifs ou des portefeuilles sur de longues durées, comme les foncières. Pour ces dernières, ils peuvent également souscrire à leurs émissions obligataires. Forts de levées considérables et d’équipes étoffées, ces assureurs interviennent soit en direct, soit en partenariat avec les banques ou en investissant dans des fonds de dette, et sont capables de se positionner sur des tickets conséquents, à partir de 75 M€ et bien au-delà. Axa IM-RA peut ainsi investir jusqu'à 500 M€ par opération, si ce n'est plus, en finançant entre 40 et 70 % de la valeur de l'opération. Une dynamique qui lui permet d'espérer un retour à Euribor +1,5-3 %.
Aux fonds de dette les montages complexes
Dernier prêteur alternatif et non des moindres : les gérants spécialisés, qui ont structuré des fonds de dette mobilisant les capitaux de la sphère financière pour financer l’investissement immobilier. « Ces fonds se sont surtout développés à partir de 2011, explique Pierre-Nicolas Ferrand (ci-contre), associé spécialisé en Banques & Finances au sein de Shearman & Sterling. Ils sont peu à peu devenus des concurrents non négligeables pour les banques. En raison de contraintes réglementaires, celles-ci ont eu tendance à gérer activement leurs portefeuilles de dettes et à ne pas garder la totalité de leurs financements sur leur bilan. » Donc elles syndiquent, en distribuant le risque auprès d’autres prêteurs. « Par ailleurs, il arrive également que ces deux types de prêteurs collaborent sur certains dossiers, les banques faisant la dette senior, et le fonds apportant une tranche mezzanine ce qui permet de trouver un financement pour un dossier qui autrement n’aurait pas été financé en senior par les seules banques », poursuit l’associé du cabinet d’affaires. Acofi Gestion, Scor Investment Partners, AEW, Natixis AM, Tikehau, Zencap AM… : ces fonds de dette investissent à travers des véhicules de dette hypothécaire senior, junior, voire mezzanine, même si leur préférence va aujourd’hui encore à la tranche la plus sécurisée. Grâce à leurs fonds d’une taille moyenne de 400 M€, ils peuvent se positionner, dans le cadre de syndications bancaires ou non, sur des tickets moyens compris entre 25 M€ et 30 M€, voire beaucoup plus pour certains. Surtout, ils aiment les montages complexes, plus adaptés à leur savoir-faire et se positionnent généralement sur des opérations au profil de risque plus élevé, comme le développement ou le value-added, dont ils peuvent financer le coût entre 60 % et 75 %. Scor IP vient ainsi de financer l’opération Nework, une vente en état futur d’achèvement (vefa) en blanc à Nanterre Université, en partenariat avec Helaba (lire ci-dessous).
“Les fonds de dette aiment les opérations aux montages complexes,
dont ils peuvent financer le coût entre 60 % et 75 %”
Une courbe du risque qui progresse
Dans le contexte actuel, où les valorisations sont au plus haut, les prêteurs quels qu’ils soient, peinent à défendre leurs marges sans réévaluer leur courbe du risque. Pour servir une rentabilité attrayante à leurs associés, actionnaires ou détenteurs de parts et promettre un Euribor +180-200 comme s’y engagent certains, les acteurs du financement n’ont d’autres choix que de faire évoluer, auprès de leurs investisseurs et de leurs comités de direction, leur politique d'octroi des financements, en allant vers plus de risque. « Mais sans compromis sur la profondeur et la durée de leur analyse des actifs », assure Christophe Murciani (ci-contre), directeur de l'équipe fonds de prêts immobiliers d'Acofi Gestion. De quels risques parle-t-on ? De celui de la localisation, avec des biens positionnés sur des marchés moins prime, comme la périphérie de Paris ou sa banlieue. Du risque du développement ensuite, avec les ventes en état futur d’achèvement (vefa). De celui de la commercialisation enfin, avec des opérations en gris ou en blanc. L’exemple le plus probant est celui des banques allemandes. Helaba pour ne citer qu’elle, qui a déjà la culture des vefa, est montée dans la courbe du risque cette année en y ajoutant du blanc, comme elle l’a fait avec l’opération Nework, à Nanterre Université. Mais si elle peut se permettre cette exposition, c’est parce qu’elle est staffée pour. « Au final, le raisonnement du prêteur a beaucoup de points communs avec celui de l'investisseur, qui doit savoir comment vit l’actif, son occupation, comment anticiper les risques s’ils se présentent…, explique Renaud Jézéquel, directeur général d’Helaba en France. Je dispose d'une équipe de douze personnes dédiées à Paris, réparties entre la vente et la structuration d'un côté et la gestion du risque et des engagements de l'autre. Ainsi, pour suivre l'opération Nework, j'ai avec moi six personnes totalement intégrées, qui peuvent par exemple produire un reporting trimestriel ou ad hoc selon les besoins. » Pour Chloé Thiéblemont (ci-contre), associée spécialiste du financement immobilier au sein du cabinet d’avocats LPA-CGR, le besoin de reporting peut également être un facteur de décision dans le choix du mode de financement pour lequel décide d’opter un emprunteur. « S’il n’a pas d’équipes pour assurer la transmission des informations et des documents que la banque ou le fonds de dette requièrent, il ne privilégiera pas la dette pour financer ses investissements », indique-t-elle.
« Le raisonnement du prêteur a de nombreux points communs
avec celui de l'investisseur »
Refinancements et diversification à l’étranger
Pour défendre au mieux leur rémunération, les prêteurs traditionnels ont d’autres axes de développement que celui du risque, parmi lesquels les refinancements. Dans un marché où le faible nombre de produits se combine à un trop plein d’equity, ces opérations constituent un autre moyen pour les banques de remplir leurs engagements. « Avec la baisse des taux, le marché du refinancement a fortement progressé, et représente aujourd’hui la moitié du marché de l’investissement », souligne Chloé Thiéblemont. Parmi les derniers grands dossiers finalisés figure celui de Cegereal, qui a réalisé l’un des plus importants refinancements hypothécaires en Europe l’an passé, d’un montant de 625 M€ auprès d’Aareal et de Natixis. Si la première l’accompagne depuis longtemps, la seconde elle, est un nouveau partenaire. Aux côtés de ces refinancements, une autre voie s’est également imposée aux groupes bancaires : accompagner leurs clients français dans le financement de leurs opérations à l’étranger. Natixis le fait déjà depuis longtemps en Italie notamment, mais pour BNP Paribas et Société Générale, la tendance est plus récente. Cette augmentation des financements pan-européens n’a pas échappé aux emprunteurs qui, lorsqu’ils ont un choix à faire, n’hésitent plus à privilégier ceux qui peuvent mettre en place des crédits au sein de plusieurs juridictions. Mais d’autres voies restent encore à explorer. Certains grands financeurs de la place réfléchissent à de nouvelles sources de financement, « différentes en fonction de leur étape de vie, comme l’explique Laurent Chenain (ci-contre), dans le dossier sur le financement immobilier du n°79 de Réflexions Immobilières publié par l’IEIF. Nous réfléchissons à des financements au travers de produits de CMBS pour certains de nos clients », précise-t-il. Pour le responsable de la direction immobilier et hôtellerie de CACIB, le monde du financement bancaire doit aussi « être réceptif à des idées nouvelles comme la mise en place, avec des assureurs ou des asset managers, de produits structurés grand public qui permettraient d’investir directement dans la dette immobilière, par exemple ». Une piste parmi d’autres qui montre que le paysage du financement immobilier est loin de se figer.
Retrouvez prochainement le troisième volet de notre dossier sur le financement immobilier : “La dette immobilière, une classe d’actifs à part entière”
Lire aussi le premier volet de l'enquête :
Les créanciers de l’immobilier coté (16/06/17)