Vous avez dit due diligence ?
L’environnement très favorable à l’immobilier, avec des taux d’intérêts faibles et un appétit certain pour le secteur, inspirait Emmanuel Schreder, co-président de Catella qui, il y a quelque semaines, précisait « cela tend les négociations, mais il est rare que les due diligences aboutissent sans aucune décote ». Due diligence ?
Tout d’abord
Si le terme diligence est bien connu des amateurs de Far West, celui de due diligence, "due dil" ou encore "DD" pour les intimes, peut, pour le profane, paraître plus abscons. Son lien avec la diligence, synonyme de soin et de célérité n’est pas évident. Mais de quoi s’agit-il ? Tout simplement de l’analyse nécessaire à laquelle doit se livrer un acquéreur avant de s’engager à acheter.
Diligens en latin signifie à la fois soigneux, attentionné et prompt. Debere fait référence au devoir. Nous sommes donc en présence du soin qu’un candidat à l’acquisition se doit à lui-même lors de l’étude de sa cible : un bien ou une société. La due diligence est donc une action volontaire, qu’un acheteur entreprend pour identifier et clarifier les informations nécessaires à sa décision. En somme, avant de se décider, en bon élève, il doit faire ses « devoirs ».
Dans un univers compétitif, tout ce qui concourt à lever des doutes, permet à un candidat à l’acquisition en appétit d’être plus généreux, d’améliorer son prix, et donc potentiellement d’être le vainqueur. Tout ce qui clarifie des points obscurs lui permet de mieux assumer les éventuels risques qu’il s’apprête à prendre. À l’inverse, un point dur découvert peut avoir une conséquence financière lourde, induire une forte baisse du prix, voire déclencher un "no go" et l’acquéreur renoncera alors à la transaction.
Les due diligences impliquent de nombreux conseils et experts. Comme les initiés le savent, elles consistent principalement, d’une part en l’analyse de la performance économique passée et des projections faites pour le futur, d’autre part en l’étude des éléments de bilan comptables (valeur réelle des actifs et montant des passifs), et enfin à l’analyse de tous les enjeux juridiques, fiscaux et techniques entourant l’opération. Bien conduites, elles sont un élément déterminant de la formation du prix et des garanties demandées et donc de la transaction. C’est pourquoi très souvent le vendeur lui-même prépare une auto-analyse du bien ou de la société qu’il met en vente. Il la fait effectuer par ses propres conseils et la transmet aux candidats acquéreurs. On parle alors de VDD, pour vendor due diligence.
Un peu d’histoire
Selon le dictionnaire Webster, le terme est utilisé depuis le XVe siècle, prenant rapidement le sens de « soin qu'une personne raisonnable prend pour éviter de nuire à d'autres ». Aux États Unis, en pleine dépression, la défiance envers la bourse force le gouvernement fédéral à une réglementation plus stricte : le Securities Act de 1933, assurant notamment une meilleure information des épargnants tentés par l’achat d’actions. De façon assez instructive, sa philosophie générale était qu’il n’est pas illégal de vendre de mauvais investissements, tant que l’information les concernant est complète, et clairement communiquée. Cette nécessité impose un devoir aux vendeurs : se soumettre à une « enquête raisonnable » qui impose la production d’informations considérables, et un processus de vérification pour s’assurer que les analyses sont exactes et exhaustives : la due diligence. En fait l’expression est une contraction de "investigation carried out with due diligence" (enquête conduite avec le soin nécessaire).
Il est intéressant de noter qu’en droit pénal américain, lorsqu’un accusé se voit reprocher une action dont il est, même involontairement, responsable, le seul mode de disculpation possible est de démontrer qu’il a tout mis en œuvre pour éviter que la chose se produise. Cette démonstration renvoie à la notion de due diligence. En matière d’investissement, les mauvaises décisions, individuelles ou collectives révélées a posteriori, n’entrainent pas de poursuites pénales. Toutefois, il est essentiel que les responsables puissent démontrer qu’ils ont tout mis en œuvre pour ne pas en arriver là, qu’ils ont fait leur(s) devoir(s) avec soin.
Si la victoire lors d’un appel d’offres se limite au seul fait d’avoir offert le meilleur prix, en haut de cycle le vainqueur est menacé par ce que les américains appellent la malédiction du gagnant (the winner’s curse). Poussé à surenchérir par le processus de vente, il finit par payer beaucoup trop par rapport aux attentes raisonnables de rendement. En ne se limitant pas à la seule formation du prix, mais en étudiant l’ensemble des éléments connexes liés à la transaction, les due diligences sont censées conjurer ce malheur inéluctable. Mais la charge de travail considérable qu’elles imposent a un coût, qui par nature est irrécupérable (sunk cost) et dont la magnitude peut altérer la décision en forçant à surenchérir pour gagner et pouvoir allouer ce coût à un investissement effectué plutôt qu’à un projet avorté…