Dans les discussions teintées d'inquiétudes des investisseurs en cette rentrée, il y a le taux swap Euribor à 5 ans (passé de 0 à 3 % en un été), l'inflation, les deals avortés, le mur de la dette et de l'ESG mais aussi... la révision du plan d'urbanisme bioclimatique de Paris (PLU), lancée en 2020. Car la rédaction d'un vaste projet d’aménagement et de développement durables (PADD) à horizon 2030, actuellement à l'étude, a plus d'un impact pour les professionnels du real estate, notamment les propriétaires d'immeubles de bureaux. Un concept en particulier affole le marché, qui le qualifie de "pastillage" : les localisations que la Ville de Paris entend identifier et réserver – entre autres thématiques – à la production de logements, dans une capitale qui en manque fortement et où les opportunités de nouvelles constructions sont très rares. Au rang des solutions envisagées pour développer plus d’habitations figure l'adaptation de l'existant, en intégrant des logements dans les immeubles de bureaux de la Ville lumière. De quoi faire frémir les détenteurs de ces murs dans la capitale.
Des bureaux qui vont intégrer du logement
Du 5 septembre au 4 novembre dernier, la municipalité a ainsi proposé aux Parisiens une cartographie collaborative de "prescriptions localisées" en fonction de cinq thèmes*, en les invitant « à réagir à celles proposées ou que plus de parcelles soient protégées ou réservées ». À leur grande surprise, les détenteurs de murs de bureaux ont vu plusieurs de leurs actifs "pastillés", autrement dit identifiés comme devant potentiellement intégrer du logement. « Nous voulons protéger le plus de Parisiens possible de la spéculation immobilière, explique Ian Brossat, l’adjoint (communiste) au logement à la Mairie de Paris, dans un article du Monde. Et de faire en sorte que ceux qui travaillent à Paris puissent y habiter, alors que la ville perd chaque année des habitants parce qu’ils n’ont plus les moyens d’y loger. »
Une lettre co-signée par une dizaine de fonds
Cette cartographie a suscité une levée de bouclier chez plusieurs investisseurs institutionnels. Selon nos informations, une lettre a été envoyée à la direction de l'urbanisme de Paris, co-signée par plusieurs fonds, parmi lesquels AEW, Deka, Groupama Immobilier, Union Investment, Covéa... Axa IM Alts ou encore Allianz Real Estate font aussi partie de ceux particulièrement impliqués dans ce dossier, après avoir vu leurs actifs "pastillés" sur la cartographie et qui déplorent la non concertation avec la Ville en amont. Car la mairie de Paris envisage d’imposer du logement social dans toutes les nouvelles constructions de son futur PLU, présenté au Conseil de Paris en mars 2023. Les immeubles neufs de bureaux de plus de 5 000 mètres carrés pourraient ainsi devoir inclure une certaine part d’habitations et de logement social. « Intégrer du logement dans un projet de bureaux, cela change le business plan, peste un investisseur. Cela demande de multiplier les halls, de repenser la gestion. Ce n'est pas le même budget, ni le même rendement... »
Une foncière pour reprendre des immeubles vacants
Sur sa feuille de route, la Ville n’entend pas non plus ralentir sa politique de préemption d’immeubles, notamment pour reconvertir des bureaux et des bâtiments d’activités vacants. Elle envisage d'ailleurs de créer une foncière l’an prochain, pour faciliter le rachat de ces immeubles de bureaux vacants, de garages ou d’hôtels, qui seront réhabilités et transformés en logements abordables. « Ce qui est surtout problématique, c'est l'incertitude juridique que cela crée sur les permis de construire, abonde un autre investisseur. Rappelons que la plupart des opérations de restructuration sont vendues sans permis de construire. Les professionnels de l'immobilier s'adapteront, comme ils l'ont toujours fait, mais il faut que les règles du jeu soient claires. » Du côté des prêteurs, le sujet est tout autant mis sur la table. « Cela ne va pas nous empêcher de financer des opérations de rénovation mais nous allons être hyper vigilants sur les permis de construire », reconnaît une banque allemande.
D'autres incertitudes planent
Outre ce PLU, plus d'une incertitude vient compliquer les equity stories des fonds, dans un environnement d'investissement de plus en plus complexe. L'organisation des Jeux Olympiques 2024 notamment, qui va neutraliser certaines zones de la capitale en termes de chantiers. Question de fluidification de la circulation mais aussi d'image, qui ne veut pas d'échafaudages et de grues dans les zones les plus touristiques de la capitale. Les échéances relatives au décret tertiaire également : entreprises locataires ou propriétaires de bureaux de plus de 1 000 mètres carrés sont soumis à un audit énergétique, pour réduire leurs consommations de -40 % en 2030, -50 % en 2040 et -60 % en 2050. À défaut, ce sont des pénalités financières et administratives qu'il faudra ajouter dans les calculs des business plan...
*Les cinq thématiques de la cartographie collaborative sont les suivantes : logements (réserves existantes pour logements et nouvelles propositions de réserves pour logements) ; patrimoine (monuments historiques et protections Ville de Paris) ; espaces verts (réserves pour espaces verts et arbres à protéger, espaces verts protégés, zone naturelle et zone urbaine verte) ; équipements publics (réserves pour équipements de logistique urbaine, réserves pour autres équipements publics (hors espaces verts) ; commerces (protection du commerce et de l'artisanat et protection particulière de l'artisanat).