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WeWork : de WeRent à WeCrashed, anatomie d'une chute

Accès libre
Le 7 novembre 2023, WeWork a officiellement déposé le bilan aux États-Unis, ses filiales hors du continent et du Canada poursuivant pour l'heure leurs activités. Retour sur la chute d'un géant avec Romain Vergnault, fondateur et président de Privy.

| 1023 mots
Le site WeWork du 17e arrondissement de Paris, propriété de La Française REM. © Google Maps

Le site WeWork du 17e arrondissement de Paris, propriété de La Française REM. © Google Maps

Le 7 novembre 2023, WeWork s’est officiellement placé sous le régime de faillite (Chapter 11). Cette annonce n’est pas vraiment une surprise car, en treize années d’existence, la société a cumulé 13 Md$ de pertes, ce qui ne laissait pas de doute sur le "crash" WeWork. Adam Neumann, gourou-fondateur de WeWork, aurait un jour déclaré à un expert immobilier, à qui il présentait la stratégie de sa société, que « WeWork est l’unique moteur de l’immobilier professionnel dans la plupart des grandes villes du monde. Si on arrête de louer tous ces immeubles, leur valeur va s’écrouler. Et c’est là que j’arrive et que je les rachète tous quand ils sont au plus bas ».

Les valises pleines 

La façade rénovée du WeWork Italiens. 

La façade rénovée du WeWork Italiens. 

Dans l’excellente série WeCrashed sur Apple TV+, on assiste à la naissance et la consécration de la nouvelle Babylone de l’immobilier de bureaux : le coworking en mode Saas (Surface as a Service). Dans ses rêves prométhéens, Adam Neumann imagine un monde qui tourne autour de WeWork pour travailler, WeLive pour dormir, mais aussi WeGrow pour "éduquer" sa progéniture. Ensuite, nous retrouvons Rise by Me pour faire du sport. La société investit même 13 M$ dans une start-up qui développe des piscines à vagues… Adam Neumann a surtout une capacité folle à dépenser de l’argent, Maybach avec chauffeurs, fêtes démentielles, concerts privés, caisses de tequila à 250 $ la bouteille, et même un G650 de chez Gulfstream, fleuron des jets privés à 63 M$. Et les bailleurs signent des deux mains des baux avec le géant des espaces de coworking, car difficile de lui résister lorsqu'il arrive avec des valises pleines de dollars de "tonton Masa" (Masayoshi Son, patron du Softbank-Vision Fund), le plus gros investisseur dans WeWork. Il a misé des milliards sur Adam Neumann, qui lui a vendu WeWork comme une entreprise de tech, alors qu'elle n’est qu’un opérateur de bureaux au même rang que Regus. Mais il faut bien le concéder, la hype en plus...

Prêt à payer plus cher que le reste du marché 

Romain Vergnault, Privy

Romain Vergnault, Privy

Mais quand WeWork passe, tout le monde trépasse. Il est vrai que ce preneur est un locataire providentiel pour tout propriétaire de grands ensembles immobiliers de bureaux. Un preneur pour 10 à 15 000 mètres carrés de surfaces ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval ! D'autant qu'il est prêt à payer plus cher que le reste du marché et à s’engager sur des baux de très longue durée. Alors pourquoi refuser de signer avec un tel preneur ? Pourquoi refuser d’acheter un immeuble avec une telle (supposée) qualité de signature ? Quelques réflexions de bons sens auraient permis de voir rapidement que le business model de WeWork était bancal. Non pas celui du coworking, mais le business model de WeWork. Et c’est bien là que les propriétaires et gestionnaires d’actifs auraient dû revenir à un raisonnement purement immobilier. C’est bien la première question que devraient se poser tous bailleurs envers n’importe quels preneurs : le business model de mon locataire peut-il supporter le taux d’effort locatif ? Si la réponse est "peut-être", le propriétaire signe en connaissance de cause et peut toujours se dire que "c’est toujours ça de pris", surtout lorsqu’on a du mal à remplir un actif. Mais dans un marché à faible vacance locative, est-ce bien la bonne décision, pour un propriétaire d’immeubles prime, que de le louer à WeWork ? Quand bien même ce locataire paie un loyer supérieur aux autres potentiels preneurs ? 

Comment les bailleurs français se sont-ils retrouvés passagers de son G650 ?  

Le WeWork à Opéra. 

Le WeWork à Opéra. 

WeWork France exploite quinze centres de coworking et cinq centres mono-locataires. La majorité des sites parisiens (+1 à La Défense) appartient à des investisseurs institutionnels. On peut diviser les bailleurs de WeWork en deux catégories : les bailleurs lui ayant loué des immeubles ; et ceux qui ont acheté un actif loué à WeWork. Si on se penche sur la deuxième catégorie, on retrouve des SCPI à la manœuvre. Pourquoi ces véhicules grand public ont-il acheté des immeubles loués à l'opérateur d'espaces de travail partagés ? On peut se poser de sérieuses questions. Car la mission première d’un gestionnaire de SCPI est de diversifier les risques pour le compte de ses épargnants. Et dans le cas de WeWork, on est en droit de se demander si ces professionnels n’ont pas failli dans leur mission d’investir les fonds de leurs clients, à travers une analyse du couple risque/rendement.

WeWork 92 Champs Elysees

WeWork 92 Champs Elysees

Opération rémunératrice pour une société de gestion 

Car acheter un immeuble loué à WeWork était une opération très intéressante (et rémunératrice) pour la société de gestion – un peu moins pour la SPCI. En effet, elle se rémunère via des commissions : une commission d’investissement (entre 1 et 2 % HT selon les SCPI) ; une commission de gestion (entre 5 et 10 % HT des loyers encaissés) ; et surtout, à travers les frais de souscription sur la collecte (de 5 à 12 % de la collecte). Si on analyse le rapport annuel de deux SCPI sœurs ayant réalisé l’acquisition d’un immeuble WeWork pour la modique somme de 150 M€ et un loyer annuel de l’ordre de 5,1 M€, on peut calculer, en se référant aux frais facturés pas la société de gestion, que cette dernière a perçu 9 M€ de commission sur la quote-part de collecte, puis 2,9 M€ de commissions de recherche d’investissement et enfin 250 000 €/an pour la gestion locative, soit plus de 12 M€ de frais et autres commissions dans les caisses du gérant ! Cela laisse songeur sur l’alignement des intérêts des épargnants avec ceux de la société de gestion.

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