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Cedrus & Partners : « La conjoncture devrait stopper la frénésie de la hausse des prix »

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William Guilloux, directeur du département investment research du groupe, analyse l’impact du coronavirus sur les marchés privés, notamment celui de l'immobilier et des infrastructures, ainsi que les opportunités du moment et celles à venir.

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Avec la crise, les arbres vont arrêter de monter jusqu'au ciel. 

Aucun des scénarios historiques (guerres, crise de 2008, mai 1968) ne colle à la crise actuelle. Le plus proche étant sans doute la grippe asiatique de 1956-58, à la différence que son développement avait été cinq fois moins rapide que celui du Covid-19 et qu’elle n’avait pas nécessité l’arrêt de l’appareil économique. La particularité de cette crise en comparaison de celle de 2008 réside dans le fait que son origine n’est pas financière, mais expliquée par un choc simultané d’offre et de demande provoqué par une économie mondiale à l’arrêt. Toute chaîne de valeur internationale est en effet pénalisée par une interdépendance des économies et des territoires entre eux. The Economist prend l’exemple d’une simple tasse à café nécessitant la collaboration de 29 sociétés dans 18 pays tout au long de sa conception, sa fabrication et son acheminement. Comme le souligne Daniel Cohen, directeur du département d'économie de l'ENS, « cette manière de concevoir la production industrielle comme un assemblage de parties éclatées un peu partout dans le monde, en particulier en Chine, pour chercher toujours le moindre coût et le meilleur rapport qualité/prix, a touché ses limites. » Historiquement, on estime une période de latence de l’ordre de quatre à six mois pour observer la retranscription des chocs violents aux marchés privés. Néanmoins, compte tenu de la position centrale de l’économie réelle, de la maturité du cycle économique pré-crise et du niveau conséquent de levier dans les entreprises non- financières, le choc de réalité sera sans doute plus rapide.

Dans l'immobilier 

William Guilloux - Cedrus & Partners 

William Guilloux - Cedrus & Partners 

Les fonds cotés, semblablement à crise de liquidité de 2008, ont affiché une performance de -40 % sur le premier trimestre. Certains fonds cotés britanniques se sont retrouvés confrontés à l'impossibilité de valoriser leurs biens en portefeuille. Les suspensions des rachats de la part de la FCA (Financial Conduct Authority) se sont multipliées, avec plus de 11 Md£ gelés. Le stress de marché semble pour l'heure se concentrer sur les actifs cotés du segment core, avec une sensibilité à l'immobilier de commerce. Un ralentissement est attendu sur ces transactions core du fait de l’impossibilité pour les investisseurs internationaux de se déplacer durant les prochains mois, des mouvements importants sur certaines devises et des risques politiques omniprésents. Pour les fonds fermés (dont notamment les SCPI), l'impact mettra plus de temps à se matérialiser et le constat est plus optimiste à moyen terme. En effet, les niveaux de dividendes pour 2020 annoncés par les meilleurs gestionnaires restent pour l’heure en territoire positif sur la majorité des secteurs. Le classement des secteurs que nous avons pu établir (par ordre d’importance de l’impact de la crise sur les taux de rendement) est le suivant : hôtellerie, commerces, bureaux et enfin santé. Sur le marché de l’hôtellerie, d’après une étude récente du cabinet InExtenso auprès de plus de 2 000 hôtels, les taux d’occupation européens sont en chute libre sur la fin mars : -96 % en Hongrie, -86 % en Italie et en Espagne et -75 % en France. Les attentes en matière de baisse du revenu par chambre pour l’année 2020 en Europe s’établissent à -37 % avec un taux d’occupation de -27 %. Certaines sociétés de gestion sont prêtes à effectuer des mesures d’accompagnement avec les hôteliers, en contrepartie d’un rallongement de la durée des baux. Le segment de l'immobilier commercial fait état d’un risque élevé autour des locataires, compte tenu du nombre élevé de négociations pour des reports de loyers. Des décalages de trésorerie sont donc à attendre pour certains fonds. De nombreuses enseignes devraient dépendre des aides de l’État pour survivre. Ainsi, certaines enseignes déjà fragilisées ont été contraintes de se mettre sous la protection de leurs créanciers (e5 Mode, André, Galeria Kaufhof Karstadt, Orchestra-Prémaman). D’autres telles qu’Hema et ICI Paris XL (AS Watson) viennent d’annoncer unilatéralement qu’elles ne paieraient plus leurs loyers durant le confinement, afin de préserver les emplois. D’après les spécialistes de ces actifs, la période de tension va accélérer la transformation du secteur. Le e-commerce, click & collect et le digital devraient gagner encore davantage de parts de marché. Pour l’immobilier de bureaux, le marché devrait s’assainir avec des loyers en baisse et un arrêt des opérations spéculatives avec un fort levier. Le coworking risque de souffrir plus particulièrement, du fait de la précarité de certains locataires. Pour ce qui est des valorisations, il est encore trop tôt pour anticiper l’impact de la crise, néanmoins la conjoncture devrait stopper la frénésie de la hausse des prix et pénaliser dans un premier temps les actifs les moins liquides situés dans des emplacements de seconde zone, ou encore ceux dont le bail arrive bientôt à échéance. 

Dans les infrastructures privées 

Les actifs d'infrastructures sont majoritairement régulés ou à concurrence limitée et fournissent des services essentiels aux communautés avec des contrats long terme et des barrières à l’entrée élevées. Certains actifs sensibles à la croissance mondiale tels que les transports (aéroports, fret, rail, ports, parking) ou l’énergie sont directement touchés et subiront probablement des consolidations. Pour le secteur de l'énergie, s'ajoutent les pressions liées à l'abondance de pétrole disponible sur le marché, laissant craindre des prix négatifs compte tenu des coûts de stockage élevés. Le pétrole brut du Wyoming a touché -19 centimes le baril la semaine dernière. Concernant le secteur des transports, l'agence Fitch vient de réviser à la baisse la notation de deux projets d'infrastructures autoroutières en Australie compte tenu de la contraction du trafic. En effet, d'après leurs estimations, la réduction du trafic devrait atteindre -17 % en rythme annualisé pour 2020. Cette baisse de revenus occasionne une augmentation du ratio dette nette/Ebitda supérieure à 4,5x, ce qui pèse sur les obligations contractuelles de capex et le remboursement de la dette. Pour les actifs du domaine de la santé, une compression des marges est possible à moyen terme mais la thèse démographique reste intacte. De la même manière, les actifs du digital (datacenter, fibre, télécom), les réseaux de distribution ou les infrastructures sociales restent soumis à des tendances de long terme ainsi qu’à des contrats très sécurisés. De plus, les facteurs de croissance de l’industrie des infrastructures sont plus que jamais d’actualité. Les États devraient continuer de moderniser des actifs pour soutenir la croissance, tout en demandant plus de garanties sur l'utilisation de l’argent public. Par exemple, le gouvernement américain vient d'annoncer un premier programme de 2 000 Md$ visant à moderniser les infrastructures du pays. L'Allemagne a annoncé un plan analogue de 12,8 Md€ et l'Union Européenne devrait quant à elle se prononcer bientôt sur les contours d'un plan commun. En conclusion, ce sont les actifs d’infrastructure "traditionnels" qui devraient être les plus résilients.

Conclusion

Après un cycle très porteur, la situation de tension devrait permettre d'assainir les valorisations et de distinguer les actifs de bonne qualité de ceux de qualité plus médiocre. Par ailleurs, la prime à la durabilité sous toutes ses formes devrait se trouver renforcée : respect des enjeux environnementaux et sociaux, principes de gouvernance éprouvés, solidité financière, résilience de l'activité, niveau d’endettement sain, visibilité des cash-flows, innovation et digital. Cette approche responsable et durable sera inévitablement plébiscitée par les investisseurs et les créanciers privés. Elle aura pour vocation à pérenniser la valeur créée en rétablissant l'équilibre des ressources ; le capital, le corps social et l'environnement. Si certaines opportunités sont d'ores et déjà perceptibles (le private equity secondaire, les infrastructures privées ou certains pans de la dette privée senior), d'autres sont soumises à un timing moins évident (le private equity primaire, l'immobilier). Les investisseurs les plus méthodiques dans leur programme d'investissement et les plus rigoureux dans l'assemblage de ces opportunités pourront espérer profiter de ces points d'entrée très décotés

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