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Récupération de la TVA par les marchands de biens : une décision de jurisprudence défavorable et des incertitudes

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Le 27 novembre 2020, le Conseil d’État (CE, 9è et 10è ch., n°426091) a rendu un arrêt important en matière de récupération de TVA par les marchands de biens. Cette décision, confirmant la position stricte de l’administration fiscale et de certains juges d’appel, est contestée à raison par une partie de la doctrine. Explications avec l’équipe "tax" du cabinet Allen & Overy : Guillaume Valois, associé du département droit fiscal à Paris, Charles del Valle, counsel, et Charlotte Signol, collaboratrice.

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Guillaume Valois, Charles del Valle et Charlotte Signol - Allen & Overy. 

Le 27 novembre 2020, le Conseil d’État (CE, 9è et 10è ch., n°426091) a rendu un arrêt important en matière de récupération de TVA par les marchands de biens. Selon cette décision, la TVA supportée lors de l’acquisition d’un immeuble ancien destiné à la revente ne peut être déduite qu’à la date de réalisation effective de la revente et sous réserve que cette dernière soit soumise à la TVA sur option. L’affectation de l’immeuble à une activité locative soumise à TVA dans l’intervalle est sans influence. Cette décision, confirmant la position stricte de l’administration fiscale et de certains juges d’appel, est contestée à raison par une partie de la doctrine.

De l'affectation d'un immeuble à une activité taxable

La position des juges découle du traitement TVA applicable aux immeubles anciens. En effet, la vente d’un immeuble ancien (achevé depuis plus de cinq ans) est en principe exonérée de TVA sauf option, contrairement à la vente d’un immeuble neuf (achevé depuis moins de cinq ans), soumise à la TVA de plein droit. Lors de l’acquisition d’un immeuble ancien destiné à la revente, tant que cette dernière n’est pas intervenue avec option pour la TVA, il n’est donc pas certain que l’immeuble soit effectivement affecté à une activité taxable ouvrant droit à déduction. Le principal apport de cet arrêt est de préciser que cette analyse reste inchangée lorsque l’immeuble est affecté à une activité de location soumise à la TVA dans l’attente de sa revente. Cette précision n’allait pas de soi et l’on aurait pu légitimement penser dans une telle hypothèse, que l’affectation de l’immeuble à une activité locative taxable aurait permis d’ouvrir droit à déduction de la TVA supportée lors de l’acquisition dès lors que le régime de la TVA repose sur un principe essentiel de neutralité. Ainsi la TVA supportée lors de l’acquisition de biens et services est déductible dès lors que ces dépenses présentent un lien direct et immédiat avec une activité taxable du contribuable.

Une activité locative « intercalaire »

Dans l’affaire jugée par le Conseil d’État, les immeubles avaient été acquis loués et l’étaient restés jusqu’à leur revente. Le contribuable invoquait donc l’existence d’un lien entre l’acquisition des immeubles et l’activité locative pour justifier d’un droit à déduction immédiat de la TVA supportée au titre de l’acquisition. Le Conseil d’État refuse toutefois de reconnaître un tel lien au motif que l’intention du contribuable, révélée notamment par la comptabilisation des biens en stock, était de les affecter à une activité de revente et non de location. L’activité locative ainsi considérée comme « intercalaire » ne suffisait donc pas à ouvrir droit à déduction immédiat de la TVA. Au regard du principe de neutralité de la TVA, la solution laisse perplexe. Elle fait également fi du modèle économique des investisseurs qui acquièrent en vue de revendre. Bien souvent, ceux-ci acquièrent des immeubles vides ou à restructurer et recherchent des locataires de qualité pour donner de la valeur aux actifs avant de les revendre. La location fait ainsi partie intégrante de l’activité de l’opérateur et ne peut être dissociée de l’opération de revente. Ainsi, s’il est difficile de nier que l’intention ultime de l’acquéreur est de procéder à la revente de l’immeuble, il nous semble inexact de cantonner l’activité locative à un rôle accessoire dès lors qu’il s’agit souvent d’une activité préalable indispensable pour mettre l’immeuble en valeur et le vendre.

Des questions en suspens

Bien que le rapporteur public reconnaisse cette réalité économique dans ses conclusions sous l’arrêt du Conseil d’État, il l’écarte dans son raisonnement au motif qu'« un immeuble ne peut être utilisé parallèlement comme un bien d’investissement qui a vocation à […] produire des revenus locatifs et comme une marchandise destinée à […] une opération de vente ». En appliquant un tel principe d’exclusivité, plutôt que de reconnaître que les activités de location et de vente peuvent se succéder, le Conseil d’État ne pouvait fatalement que conclure à l’absence de lien direct et immédiat entre l’achat des immeubles et l’activité de location. Cette décision, bien qu’éminemment discutable, a le mérite de clarifier la question de la récupération de la TVA supportée lors de l’acquisition des immeubles anciens destinés à la revente. À cet égard, il n’y a aucune raison de penser que la solution aurait été différente si les immeubles n’avaient pas été acquis loués mais vides et mis en location par l’acquéreur. Elle laisse toutefois un certain nombre de questions en suspens. Par exemple, le Conseil d’État ne se prononce pas sur le point de savoir si le marchand de biens, à défaut d’avoir un droit à déduction immédiat de la TVA supportée lors de l’acquisition d’un immeuble ancien, peut obtenir ce droit au moment où l’immeuble devient assimilé à une immobilisation. En effet, un immeuble inscrit en stock est assimilé à une immobilisation s’il est loué en TVA pendant plus d’un an après le 31 décembre de la deuxième année suivant son achèvement. Les conclusions du rapporteur public, en revanche, laissent entendre qu’un tel droit à déduction ne bénéficierait qu’aux constructeurs, et donc aux immeubles neufs.

Un traitement TVA différent pour les immeubles neufs et anciens

Si cette position contestable du rapporteur public devait être confirmée, restreignant ainsi le mécanisme d’assimilation à une immobilisation aux constructeurs, cela pourrait notamment compromettre dans certaines situations le transfert par le marchand de biens à son acquéreur des régularisations de TVA acquittées lors de la revente. Dans l’attente d’une clarification de la doctrine administrative ou de la jurisprudence, il convient donc de considérer que la TVA supportée lors de l’acquisition d’un immeuble ancien destiné à la revente ne peut être récupérée immédiatement. La récupération au moment de l’assimilation de l’immeuble à une immobilisation est incertaine et pourrait n’intervenir que lors de la revente sous réserve d’option pour la TVA. On ne peut que regretter les conséquences pénalisantes de cette solution qui conduit à un traitement TVA différent pour les immeubles neufs et les immeubles anciens, et oblige de la sorte les acteurs immobiliers à porter le coût de la TVA jusqu’au complet dénouement de leurs opérations, en contradiction avec le principe de neutralité. Une modification des règles actuelles afin d’autoriser une option à la TVA sur la revente par anticipation dès l’acquisition de l’immeuble, comme évoquée notamment par le rapporteur public, serait donc la bienvenue.

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